dans le cabinet de travail du maître des Trophées, parmi des nuages de tabac, au sommet de la rue Balzac. On étudiait, au microscope, les moindres facettes d’une locution ou d’un mot ; on pesait chaque adjectif ; on faisait luire un vers comme une dague. Des gens disputaient âprement des mérites respectifs de la sextine et du pantoum. Tous les sujets du monde étaient abordés, chacun apportant sa moisson d’observations ou de rêves. M. Pierre Louys et M. Psichari parlaient de la Grèce antique, et M. Gaston Deschamps de la Grèce d’aujourd’hui ; le docteur Cazalis (Jean Lahor) citait des maximes du Mahabharata ; Maurice Maindron évoquait l’Inde, comme quelqu’un qui y était allé et le XVIe siècle français, étant l’homme du monde qui en savait le mieux les secrets. Emile Pouvillon rapportait des traits de mœurs provinciales de Gascogne, Jules Breton de Courrières, M. Le Goffic de Bretagne et Léon Barracand du Dauphiné, Paul Mariéton faisait de son mieux pour qu’on le prît pour un Provençal et Remy Saint-Maurice pour un Druide. George Doncieux parlait d’une histoire du romancero français qu’il écrirait quelque jour, et le vicomte d’Avenel du bonheur qu’on a de ne pas vivre au « bon vieux temps. » M. Robert de La Sizeranne parlait des Préraphaélites anglais, M. Maxime Formont parlait des Lettres portugaises, M. Tristan Bernard ne parlait de rien, oyant tout avec une bienveillance énigmatique, — tandis que Robert de Bonnières (Janus du Figaro) chambrait un jeune confrère abasourdi, pour lui expliquer que son roman ne serait point trop mauvais, s’il avait pris soin de mettre à la fin ce qui était au début, de supprimer le milieu et de récrire le tout, en respectant, — et son geste menaçant soulignait le danger de ne la point respecter assez, — la « propriété des termes. »
Heredia, dont l’extrême bienveillance n’oblitérait nullement le goût très sûr, accordait son appui à tous les jeunes, mais son estime littéraire à quelques-uns seulement, — et ceux qu’il discerna en étaient tout à fait dignes. Parfois, on eût pu dire quel nom, la veille ignoré, se répandrait le lendemain dans Paris, en le voyant brandir les « bonnes feuilles » de quelque œuvre nouvelle, dont il faisait lecture à haute voix, insistant sur les splendeurs de la forme, soulignant les effets. Derrière lui, le poète Edouard Callon, lisant par-dessus son épaule, transporté d’aise, ne pouvait se tenir de rythmer les périodes avec de grands gestes de chef d’orchestre. Alors, dans cet auditoire