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demandé si l’ensemble avait bien cette ampleur et cette simplicité que nous attribuons à l’architecture grecque... En voyant les restes de polychromie et les applications qu’on en a faites sur certains édifices restitués, sang de bœuf et bleu d’outre-mer, il a frémi en songeant à l’effet qu’elles nous auraient produit, et n’a pu s’empêcher de les comparer aux murs peinturlurés de Médinet-Abou. Même dans la chryséléphantine de Zeus, qu’on oignait et beurrait pour empêcher l’ivoire d’éclater au soleil, quelle sorte de beauté pouvait rester à cette tête de Jupiter toute luisante de graisse !

Et surtout, quelle secousse pour nos sensibilités modernes serait, dans ces prétendus sanctuaires de la beauté immaculée, l’appareil des sacrifices, ce « brasier perpétuel enveloppé de fumées, entouré de flaques de sang et nageant dans les effluves gras des viandes rôties !... » En se figurant l’abattoir permanent près du Parthénon qui desservait l’autel d’Athéna, le voyageur a comparé la vraie déesse de ce temps, pour qui l’on égorgeait, on dépeçait et on rôtissait des bestiaux, avec l’anémique symbole d’académie, qui se dresse dans nos écoles des Beaux-Arts. A Olympie, il a évoqué tous les autels et les brasiers de l’Altis, et conclu : « Cela devait sentir le roussi, la friture, le graillon et l’encens. On respirait, là, sans doute, la même atmosphère que dans les rues indigènes du Caire ou d’Alger, ces petites rues obscures où des réchauds sont allumés devant les portes, où des encensoirs se balancent au bout de leurs chaînettes et où les relents des cuisines huileuses se mêlent aux senteurs acres des épices et des parfumeries. » Voilà quantité d’impressions que ne nous donnent guère les restitutions d’archéologues.

Or, un beau jour, comme l’universitaire d’Alger cherchait à se représenter la vie antique et n’y parvenait point avec le seul secours des restitutions savantes, tout d’un coup, il s’avisa d’une chose : c’est qu’elle était là, sous ses yeux, continuée par les races que les progrès de la civilisation matérielle ont peu touchées et que le climat toujours semblable a conservées. Dans les bains maures d’Alger, il revoit les Thermes de la Rome impériale ou d’Hippone, dans son guide Abdallah qui court la nuit sur les pistes du désert, il retrouve la silhouette du coureur antique. Ces bergers du Cithéron, attablés dans un cabaret de Thèbes devant une gazzosa, ont les gestes augustes des anciens rois pasteurs de peuples. Il n’est pas jusqu’aux portefaix de Marseille,