fermentent au levain des anciennes civilisations européennes. Les trois fils de Noé s’y sont rencontrés après des milliers d’années de séparation. Le Léviathan des peuples a même commencé à déborder sur le vieux monde avec un tel poids matériel et de telles énergies morales qu’il risque de le faire chavirer. Mais pour nos tempéraments latins, ces énergies sont exagérées : « Elles nous surmènent et elles nous accablent. » Et puis ce sont des peuples sans histoire, leurs gestes ne continuent rien. « Qu’est-ce que j’irais faire dans ce pays où je ne trouverai pas une inscription remontant à plus de deux cents ans ? » disait un lettré anglais, au siècle dernier. A plus forte raison qu’irait y faire l’auteur de la Fin du Classicisme et le Retour à l’Antique ? Enfin, quelque intense que soit leur vie, et si formidables les effets, ce n’est pas chez eux que l’on trouvera le sel de la terre. Plus ils se civilisent, plus ils viennent à la culture méditerranéenne. Leurs bibliothèques, si riches, si universelles, contiennent tout, excepté quelque figure de l’âme ou de la société qui ne soit pas un legs du monde gréco-latin. Leur skyscrapers ne font que porter plus haut dans le ciel la colonne ionique ou la gorge égyptienne. Nous ne trouvons jamais, dans le Nouveau Monde, en fait d’idées générales, que ce que nous y avons apporté. Si, en revanche, la France est, selon le mot spirituel et juste d’un représentant officiel des Etats-Unis, le clearing house des idées, elle le doit à sa culture gréco-latine. C’est donc toujours, là, qu’il faut revenir retremper son cerveau.
En même temps qu’une prédication d’énergie, l’œuvre de Louis Bertrand est un cri d’alarme, le signal de la vigie, en face de l’Etranger, du « Barbare, » selon le vieux sens du mot, encore juste, plus d’une fois. En se trouvant face à face avec tant de peuples hostiles et de civilisation inégale, dans ce carrefour des races qu’est l’Afrique du Nord, et tout l’Orient, il vit nettement deux choses : la première, c’est que partout nous nous heurtons à des mondes dissemblables, qu’ainsi notre mentalité ne représente nullement la mentalité des étrangers, et que, même en dépit des analogies purement verbales des théories, « nous sommes seuls de notre espèce sur la planète. » La seconde, c’est que ces races sont le plus souvent irréductibles, fort peu impressionnées par notre civilisation, très peu gagnées par notre sympathie, sensibles seulement à