onze points, souvent éloignés, de ce pays de montagnes, composées chacune de trente, quarante, cinquante familles, mais preuve vivante qu’il est possible d’amener des musulmans au catholicisme. J’ai visité, en Haute Kabylie, un de ces postes de missionnaires, celui de Beni-Mengallet. J’ai assisté à la grand’messe, au milieu d’une assemblée de quatre-vingts fidèles, les hommes et les petits garçons, — une soixantaine, — occupant la partie haute, les femmes et les petites filles la partie basse de la chapelle. Je regardais ces jeunes cultivateurs berbères, blancs de visage, portant la moustache, solides, graves, attentifs, et je les trouvais assez pareils, sauf par le costume, à nos paysans de France. Après la messe, j’ai causé avec eux, car ils savent le français. Dans les yeux de la plupart, j’ai lu cette bienvenue, cette confiance préparée de loin, à quoi on ne se trompe pas. L’œuvre date d’une trentaine d’années. Là ou ailleurs, elle n’a guère été favorisée par les autorités qui représentent la France en Algérie ; elle a été contrariée souvent par la politique générale de notre pays ; une incroyable ignorance, c’est le moins qu’on puisse dire, a empêché les gouverneurs généraux de comprendre que la paix africaine sera la suite certaine et la récompense de la conversion de l’Afrique, et que tous les autres moyens, la force et la faiblesse, la répression, la flatterie, l’abondance des richesses et des inventions ne rapprocheront pas de nous un peuple qui ne voit en nous que des païens, et nous nomme de ce nom. Il faut qu’il aperçoive la plus grande supériorité, l’essentielle, la religieuse, et il ne l’apercevra que s’il est d’abord gagné par la supériorité de notre charité. Se faire aimer, être tel que les hommes ignorants de la doctrine du Christ, voyant le chrétien vivre près d’eux, et pour eux, se disent : » Si le disciple est ainsi, que doit être le Maître ! » voilà le point capital, la règle à suivre. C’est à des cœurs gagnés par la sainteté, qu’il sera possible, un jour, d’expliquer la doctrine.
On a vu que saint Pierre Claver n’avait pas agi autrement. Le fondateur des Pères Blancs, le cardinal Lavigerie, s’est expliqué là-dessus dans des documents connus, datés du 24 septembre 1871, des 3 avril et 6 juillet 1873, du 15 décembre 1880. Il n’avait aucune illusion sur la durée de cette période première, toute de sacrifice, où les meilleurs ouvriers périraient et seraient remplacés par d’autres qui mourraient à leur tour, sans que les seconds plus que les premiers eussent goûté la joie qui vient