épreuves. Tout de suite et tout entière, elle m’avait semblé, comme elle me paraît encore, admirable. Je la savais par cœur. Je la jouai, je la chantai même de mon mieux. Puis, de mon mieux aussi, j’en entrepris l’éloge, trop heureux, ajoutai-je, d’avoir bientôt l’occasion d’en renouveler, par écrit et publiquement cette fois, le panégyrique. L’auteur alors changea de note et, me serrant les mains, s’écria : « Mon cher, quel musicien vous êtes ! » — « Oh ! maître, simplement celui-là qu’un bien autre musicien que moi-même compare volontiers, dit-on, à son garçon coiffeur. »
Et ce soir-là, par un piquant retour, il me parut que, de leur côté, les critiques musicaux auraient tort de prendre toujours au sérieux le dédain, ou la sympathie, des compositeurs.
Massenet, lui, joignait à trop d’esprit trop de grâce, une grâce souple et caressante, pour témoigner jamais un autre sentiment que la sympathie, l’amitié même, à celui qui conserve un ancien portrait de l’auteur de Werther avec ces trois mots, dont le premier seul n’avait rien d’excessif : « A l’ami, au confrère, au juge. » Sa grâce était toujours la plus forte. Après la répétition générale d’Esclarmonde, le « juge, » — si juge il y a, — reçut du soi-disant « confrère » le télégramme suivant : « Quelques personnes indiscrètes, mais dévouées, me préviennent que votre feuilleton sera un très joli éreintement. J’ai hâte de vous lire, car je suis certain du contraire. A vous fidèlement. J. Massenet. » Librement écrit, le feuilleton parut. Aussitôt, après lecture, autre billet : « Comme au lendemain du Cid, comme après Magdeleine, je viens vous remercier. Toujours de même et toujours cordialement, votre fidèle et bien affectionné. J. Massenet. » Et c’est ainsi que, jusqu’à la fin, le prétendu juge et le vraiment grand artiste demeurèrent amis.
Ils l’étaient devenus peu de temps après la représentation du Cid à l’Opéra. Un soir, dans un salon, Massenet fut prié de se mettre au piano. Il y consentit, en me faisant l’honneur de m’inviter à m’y asseoir moi-même avec lui. Nous jouâmes les ballets du Cid. Il y apportait un éclat, un brio merveilleux, avec des doigts de fée. Le surlendemain je recevais un magnifique exemplaire de sa partition. Sur la feuille de garde il avait tracé les premières mesures du ballet, tel que nous l’avions joué, avec ces mots : « En haut, vous. En bas, moi. Souvenir de la soirée du jeudi 3 décembre 1885. » Rien de plus affectueux,