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et profonde de la continuité historique, et qu’elles nous donnent, en quelque manière, la clé de son œuvre. Elles nous font invinciblement songer à une autre pensée de Pascal, qui pourrait servir d’épigraphe à ce livre : « La nature de l’homme n’est pas d’aller toujours, elle a ses allées et venues. La fièvre a ses frissons et ses ardeurs ; et le froid montre aussi bien la grandeur de l’ardeur de la fièvre que le chaud même... La nature agit par progrès, itus et reditus. Elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc. Le flux de la mer se fait ainsi, le soleil semble marcher ainsi. » Ainsi se fit, ainsi se continue sous nos yeux l’histoire de la nation française.

Le sens philosophique, je dirais même le sens métaphysique, du drame s’en dégage avec une parfaite clarté. Une force supérieure aux individus, comme au peuple lui-même, est à l’œuvre dans l’histoire ; là, aussi bien que dans les tragédies grecques, le principal acteur est celui qu’on ne voit jamais : le Destin. Mais le destin qui règle notre histoire n’est pas le dieu aveugle des Grecs, l’inexorable nécessité qui pèse sur les hommes et les conduit à leur perte. Partout, dans cette histoire, la liberté rayonne. Sans doute, la nature sociale a ses lois auxquelles ni les nations ni les individus ne peuvent se soustraire, sinon par une rupture qui serait une gageure ; mais ces lois ne sont contraignantes que pour celui qui les subit : elles ne le sont point pour celui qui les a librement choisies. Il y a des carrefours dans la vie des hommes et des peuples ; à chacun de ces carrefours, ou, si l’on veut, de ces aiguillages, un problème se pose, un choix intervient ; nous sommes maîtres de ce choix : nous ne le sommes pas de ses conséquences ; car, après que nous nous sommes engagés librement dans une certaine voie, cette voie nous mène dans une direction déterminée, jusqu’au prochain carrefour. Ainsi alternent, dans la vie des peuples et des individus, les coups d’Etat de la liberté et les suites régies par le mécanisme : mais ce mécanisme, pourvu que la volonté se possède, n’est jamais qu’un instrument dont elle use pour réaliser ses fins, et pour parvenir au terme qu’elle se propose. Et ainsi, c’est bien l’homme qui décide, c’est lui qui, dans une large mesure, mène les événements.

Pourtant, les décisions même qui orientent notre vie ne dépendent pas tout entières de notre volonté : les circonstances,