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de notre unité historique. La France est un esprit qui s’est incarné dans une nation. Ni exclusivement celte, ni exclusivement latine, l’une et l’autre à la fois, mystique et raisonneuse, éprise de liberté et d’autorité, de changement et d’ordre, d’individualisme et d’universalité : » du jour où le christianisme se fut soudé à la civilisation gallo-romaine, sur cette terre de France toute prête à recevoir une âme, la nation française avait commencé d’être. Dès lors sa mission est claire. Elle n’y saurait faillir.

Quelle a été la part du germanisme dans la formation de la nation française ? Cette part est minime : il était bon et nécessaire qu’un historien eût le courage de l’affirmer, et de l’établir, contre la thèse germanique qui a trop longtemps régné sur l’histoire occidentale. On voit très bien ce que la France doit aux Celtes, à Rome, au christianisme. Nous nous reconnaissons tout entiers dans ce peuple celte, si merveilleusement doué, si généreux, à la fois brave et éloquent ; dont l’esprit guerrier, discipliné par Rome et par les rois, va se muer en un esprit militaire, générateur de toutes les vertus ; que son culte de la parole rend éminemment sociable, amoureux de libre discussion, résolu à n’obéir qu’autant qu’il y a consenti et qu’on l’a convaincu de la nécessité d’obéir, mais aussi bien dupe des mots, avide d’éblouir, mobile et instable, impatient d’autorité, toujours divisé contre lui-même, toujours disposé à tout remettre en question, trop prompt à se laisser distraire de ses devoirs par les hochets des honneurs et de la politique, — l’un des plus réels et des plus permanents dangers de la vie publique en France. Nous savons tout ce que le peuple français doit au génie de Rome, comment, son anarchie ne lui laissant « d’autre liberté que celle de choisir son maître, » il eut le bonheur de recevoir de Rome la discipline sociale qui lui apporta le double bienfait de l’ordre et de l’unité, qui rapprocha les hommes par le lien sacré de l’obéissance, et les unit dans le respect d’un droit universel. Rome fut vraiment l’éducatrice et l’organisatrice de la Gaule : il suffit, pour s’en rendre compte, de voir ce que sont devenus les peuples celtes abandonnés à eux-mêmes. Cependant l’Empire romain, en déracinant ces hommes, leur fit perdre le sens de la tradition ; en concentrant tous les pouvoirs dans ses mains, il affaiblit chez eux le souci de l’intérêt collectif, l’esprit de solidarité et l’esprit de sacrifice ; par sa fiscalité,