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il ait mis dans les siens telle confiance qu’il les ait entendu, avant tous, employer à son système, cela est très évident. Ces Marches que, sans cesse, il agrandissait et multipliait autour de la France menacée, il les a en partie confiées à ceux de son sang et il est difficile de nier que l’esprit familial ne l’y ait en partie poussé, mais, pas un instant, il n’a pensé que ces princes nouveaux dussent un instant perdre de vue qu’ils étaient là les premiers défenseurs de cette France sans cesse en péril. On disait jadis aussi couramment : « Il a voulu que ses frères fussent des préfets français. » Je comprends le reproche dans la bouche d’un Hollandais ou d’un Westphalien, d’un Italien ou d’un Espagnol ; dans la bouche d’un Français, n’est-ce pas un hommage à cette pensée éminemment nationale qui pas un moment n’abandonne l’Empereur ? Un jour viendra où le système familial fait faillite ; Napoléon le sacrifie, — avec quelles hésitations trop longues ! Les Marches alors, peu à peu, s’incorporent à l’Empire. Mais dès lors, celui-ci, démesuré, s’affaiblit en s’enflant.

Il croule en 1813 : en 1814, il faut que l’homme dispute pied à pied son pouvoir sur le sol même de la patrie. Henry Houssaye a dit avec quelle vigueur l’Empereur le disputa et, avant Sorel lui-même, avec quelle mauvaise foi l’Europe essaya alors d’abuser le pays. Napoléon seul était l’ennemi ; on allait en délivrer la France ; or, déjà se préparait le dépècement de nos Marches de l’Est. Le peuple le comprit trop tard ; trop tard, il se rallia au chef qui, à la vérité, sans cesse contraint à un gigantesque effort, y avait contraint le pays et l’avait ainsi surmené.


Il succomba. Mais, obscurément peut-être, ce pays sentait qu’en cet homme avait tenu son esprit. Procubuit majorque jacens appariut. Il parut plus grand après sa chute. On le réputait généralement grand guerrier finalement malheureux ; mais le pays savait quels bienfaits il avait, d’autre part, retirés de ces quinze ans d’administration rigoureuse et ordonnée, de « cette autorité civile que, disait Napoléon lui-même à Narbonne, j’ai pu maintenir toute puissante dans un Empire tout guerrier. »

Et voici qu’aujourd’hui cent études sur cette administration civile arrachent Napoléon à son rôle purement militaire. L’homme d’État, cependant sans cesse disputé par la guerre à sa