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L’Empereur n’eut pas plus tôt la lettre dans les mains qu’il la décacheta et en prit lecture. Il parut satisfait de son contenu. Ensuite, il me fit des questions de toute nature, auxquelles je répondis aussi bien que possible d’après la connaissance que j’avais des différentes choses que j’avais pu voir ou entendre.

Enfin j’étais arrivé au but que je m’étais proposé ! J’étais content. J’ai appris plus tard que, lorsque l’Empereur avait été abandonné par Constant et Roustan, il avait demandé où j’étais et, sur la réponse qu’on lui avait faite que j’étais enfermé à Mayence, il avait demandé au Grand-Ecuyer quelqu’un pour le suivre et monter sur le siège de sa voiture. Celui-ci avait proposé Noverraz, son chasseur. Noverraz, ayant été accepté, avait fait avec l’Empereur le voyage de Fontainebleau à l’Ile d’Elbe et le suivait dans toutes ses courses. Noverraz était Suisse de nation. Je l’avais connu aux écuries, où il avait été garçon d’attelage. Ayant été admis au service intérieur de l’Empereur, il a été à Sainte-Hélène où il est resté jusqu’à la mort de Sa Majesté. L’Empereur lui a toujours su gré de la conduite qu’il avait tenue à Orgon ou à Saint-Cannat en Provence, où sa voiture avait été assaillie par une foule mal intentionnée. Noverraz, étant un homme de haute taille et très fort, avait heureusement contenu cette vile populace qui, l’injure à la bouche, faisait entendre es menaces de mort en jetant des pierres dans la voiture.

Quand l’Empereur eut déjeuné et qu’il se fut déshabillé, il me fit appeler. Il était en chemise, allongé sur son canapé. Il me fit de nouvelles questions concernant les personnes et les choses. Dans mes réponses, je ne lui laissai rien ignorer de ce que j’avais appris sur les Alliés, sur les Bourbons, et des dires du public parisien, tant de l’un que de l’autre parti. Je n’oubliai pas de lui parler de la conduite de certains personnages que j’avais vus à sa cour et qui avaient déserté sa cause, etc.. Enfin je lui contai tout ce que je savais. Quand j’eus fini de répondre à toutes les questions qu’il lui avait plu de me faire, je lui présentai le paquet de brochures et de journaux que j’avais recueillis pendant mon séjour à Paris. Cette attention de ma part lui fit plaisir, et moi, je m’applaudis d’avoir eu la pensée de lui apporter tous ces écrits, puisqu’ils pouvaient l’intéresser. L’Empereur m’ayant dit un « Va, » je me retirai, et il s’amusa à feuilleter tout ce que je venais de lui remettre.