Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa personne dans cette circonstance, je ne sais si ce fut l’Inconstant qui l’y transpor-ta ; mais je me rappelle que je reçus l’ordre de m’embarquer avec des fusils sur un petit bâtiment de la marine de Sa Majesté. Un assez grand nombre de personnes de la Maison, ainsi que quelques grenadiers ou chasseurs, avaient aussi reçu l’ordre d’y aller. Il n’y avait aucune habitation dans cette île : elle était déserte. Tout ce qu’elle offre d’extraordinaire, c’est qu’elle est plate et n’est élevée que de deux ou trois toises au-dessus de la mer ; elle est parsemée d’oliviers sauvages. Son sol est pierreux comme l’indique son nom, et ne produit qu’un peu d’herbe qui sert à la nourriture de quelques chevaux qu’on y lâche et qui en sont les seuls habitants.

L’Empereur, qui avait pour maison sa tente, resta deux ou trois jours dans l’ile. Le jour où nous en partîmes pour retourner à Porto-Ferrajo, nous eûmes le vent contraire et une mer très mauvaise ; ce ne fut que dans la nuit, sur le matin, que nous parvînmes à entrer dans le port. Le bâtiment sur lequel je revins était le même qui m’avait transporté à la Pianosa. Il eut son beaupré cassé.

L’Empereur avait à Longone une maison d’habitation. Cette maison, dont je ne me rappelle ni la situation ni la dispositions, avait été réparée et nettoyée de fond en comble. Sa Majesté l’a habitée pendant quelques jours. Tout le souvenir qui m’en est resté, c’est que les chambres étaient carrelées de carreaux si tendre, si peu cuits, que constamment on était dans une poussière rouge.

C’est dans cette ville qu’était caserne le bataillon corse. M. Guasco en était le commandant. Le général Cambronne allait souvent l’inspecter. Dans les exercices et les manœuvres, il arrivait parfois au général de bousculer les soldats qui étaient maladroits ou qui marchaient mal. Un jour l’Empereur, à qui il rendait compte de l’instruction du bataillon et à qui il rapportait les gaucheries de quelques-uns des soldats auxquels il avait donné des taloches ou qu’il avait frappes de son épée, soit sur le ventre soit sur les épaules, lui dit : « Faites attention ; n’employez pas de tels moyens avec ces gens, car mal pourrait vous en arriver ; ils sont très vindicatifs et ne pardonnent jamais rien ; croyez-moi, ne vous y fiez pas. » Je pense que le général a profité de l’avis. Le bataillon était de quatre ou cinq [cents] hommes, très bien tenu et fort instruit. Il est venu en France à la suite de l’Empereur.