Il n’y a rien à en faire. Alors Watteau n’en fait rien. Il ne représente pas l’homme de son temps. Il le déguise en figurant de la comédie italienne. C’est Mezzetin, c’est Arlequin, c’est Scaramouche. Ce n’est plus un sujet de Louis XIV, mais c’est un homme. Le pantin, c’était le courtisan de l’Œil de Bœuf, avec sa carapace somptueuse et dissimulatrice, la tête enfouie sous les blondes cascades et les gros bouillons de la perruque, le corps dans l’embarras des hingraves, le tuyautage des canons, le pied écrasé par les touffes de ruban. Les peintres s’en tiraient, d’ordinaire, en masquant le buste et le corps par un immense et lourd drapé, que le coude soulevait avec effort afin qu’apparût par-dessous le galbe des deux jambes. C’était un gros poids mort qui s’ajoutait au poids mort de la perruque. Mais il fallait bien, même en ce siècle idéaliste, représenter les gens à peu près tels qu’ils étaient. Watteau survient et n’en a cure. Il ne se soucie pas de faire les gens tels qu’ils sont : il leur ôte leur perruque, et par là, il leur restitue le caractère, qu’on n’avait guère aperçu depuis les Clouet, sauf dans les rares exceptions où il tient tout entier dans le nez, les yeux et le menton. Il leur restitue surtout leurs « airs de tête » particuliers.
Ce qui a le plus contribué à uniformiser les figures du grand siècle, en effet, c’est la perruque, ce cadre qui empiète sur le portrait. Elle laisse bien apparaître la physionomie : l’assurance ou la fuite du regard, le pincement ou la gourmandise des lèvres, la contraction ou l’enflure des joues, l’impertinence du nez ou sa résignation, et jusqu’à un certain point l’avance du menton ou sa retraite, et Fagon, par exemple, malgré sa perruque, se révèle à nous. Mais le reste : la construction du col, l’attache de la mâchoire, comme les oreilles sont collées, comme les cheveux sont nés et plantés, où va le front et surtout quel est de développement du crâne, qui le saura ? La perruque ramène tout à un même gabarit, — pittoresque, d’ailleurs, et permettant bien des effets de couleur, mais émoussant le caractère qu’avaient au plus haut point les têtes de Clouet, que recouvreront celles de Chardin, La Tour ou Perronneau, à mesure que la perruque diminuera, et qu’elles ont tout à fait lorsqu’elle est remplacée par un bonnet ou quelque mazulipatam.
Comme il tire les têtes hors des perruques, Watteau tire les