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la majorité des nouveaux arrivants nous est venue de ces pays semi-orientaux, qui n’ont aucune idée de la vie communale ou parlementaire. Ces peuples ne connaissent d’autre régime que la tyrannie. Ils n’ont pas d’autre idéal social ou politique. Le gouvernement à leurs yeux n’est pas un instrument à leur service pour le bien-être et le progrès de la communauté, mais un instrument d’oppression et de contrainte, dont tout l’objet est de limiter leur sphère d’existence et leur activité.

C’est à ces nouveaux immigrés qu’est due la première altération grave qui est venue modifier la pensée américaine. Je note tout de suite un premier fait : chaque fois qu’il se produit une querelle en Europe, cette querelle se reproduit in petto aux États-Unis. Y a-t-il des difficultés entre Pologne et Tchéco-Slovaquie ? Tous les Polonais d’Amérique (ils sont quelques dizaines de mille) prennent le parti de la Pologne ; tous les Tchéco-Slovaques, qui ne sont pas moins nombreux, se rangent comme un seul homme du côté de la Tchéco-Slovaquie : il n’y a plus moyen pour le gouvernement de réagir aux problèmes et aux événements d’Europe, comme si nous étions toujours la vieille petite colonie anglaise d’il y a cent cinquante ans.

On néglige trop souvent la révolution profonde qui s’est opérée dans l’attitude des États-Unis envers le reste du monde, par le fait de l’accroissement et du bariolage de notre population dans les quarante dernières années. Par exemple, il n’est pas possible d’instituer en Amérique une discussion impersonnelle, critique ou historique, de la question irlandaise. Cette question soulève aussitôt les passions véhémentes et toutes les tempêtes de l’esprit de parti, parce que les mêmes éléments qui sont aux prises en Irlande sont représentés aux États-Unis par deux ou trois millions de citoyens. Cette observation est vraie de toutes les nations qui ont fourni une part un peu considérable de notre population si complexe.

Mais la raison profonde de l’intérêt que le monde prend à l’opinion américaine, tient avant tout aux résultats de la guerre, aux problèmes qui en sont la suite, et à la tâche de reconstruction qui s’impose après elle. La guerre a abrégé d’un siècle le temps qu’il fallait à l’Amérique pour entrer en rapports intimes avec l’Europe et avec l’Asie. Ces rapports se