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expliquer ce qu’est une bonne sœur, je lui traduisais en turc le mot « Religieuse, » mais il ne voyait pas bien ce que je voulais dire. Tout d’un coup, enfin, il s’est souvenu : « Ah ! oui, c’est cette dame qui avait toujours sur la tête un grand chapeau blanc ! » (sa cornette de sœur de Saint-Vincent de Paul). Et il est parti sûr de lui, dans ma belle voiture de pacha.

Deux heures après, voici en effet la bonne sœur. Elle arrive très troublée ; cette escapade, en compagnie du grand diable de Djemil, vêtu de rouge et d’or, dans ces vieux quartiers musulmans qu’elle ne connaissait pas, depuis vingt ans qu’elle habite Constantinople, lui paraît être la plus folle des aventures. Mon salon oriental l’étonné visiblement beaucoup ; mais son étonnement arrive à son comble lorsqu’elle voit entrer le derviche en haut bonnet et longue robe. Cependant mon invité sait tout le respect que l’on doit à une religieuse, il s’incline profondément devant elle et la salue à la turque, en portant la main à sa bouche, puis à son front. La bonne sœur, pour ne pas être en reste de politesse, incline, elle aussi, sa cornette blanche, et la glace est rompue. Je conduis mes hôtes dans ma salle à manger où un petit lunch frugal les attend, servi dans ma vaisselle d’or massif. Le derviche parle très bien le français et la sœur n’est plus embarrassée du tout. En échangeant de discrètes galanteries, ils s’asseyent tous deux à ma lourde table d’argent ciselé pour manger des gâteaux, des fruits et prendre des sorbets.

Avant de se séparer, la bonne sœur et le derviche se promettent mutuellement de se revoir.


Dimanche, 14 septembre.

Je me rends à Dolma-Bagtché, où le prince héritier m’accorde une audience. — Longue causerie presque intime avec ce prince.

Après l’audience, Kenan Bey et moi, nous voulons avoir le temps de nous rendre aux grands cimetières, avant la tombée de la nuit, car mon séjour en Turquie touche à sa fin. Il est déjà tard, notre cocher presse ses chevaux et nous brûlons les pavés. A Stamboul, nous changeons d’attelage, pour aller plus vite avec des chevaux reposés.

Cette fois-ci, c’est par en dedans que nous longeons la grande muraille byzantine qui encercle la ville et nous passons,