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satiété qu’il est pourtant nécessaire de faire revivre quelquefois, parce qu’elles n’ont pas cessé d’être vraies : on a bien le droit de les utiliser. Il y a des sentiments qui ne varient pas ; parce qu’ils ont été depuis longtemps éprouvés et traduits, peut-on faire qu’ils ne se reproduisent plus dans les âmes ? Et s’ils se reproduisent, ne doit-il pas arriver fatalement qu’on les répète ? Au théâtre, le nombre des conflits dramatiques n’est pas illimité ; et comment éviter, dans le roman, certaines analogies de situations, certaines ressemblances de caractères ? — D’accord. On ne parlera pas de plagiat, quand il s’agira d’une matière banale, commune à tous, et qu’il est malheureusement impossible de ne pas reprendre. Mais, on vertu de la logique même de ce raisonnement, il y aura plagiat dans tous les cas contraires. Quand un auteur aura découvert un fait mal connu, corrigé un fait erroné, établi un fait douteux ; quand il aura saisi, dans la pénombre du cœur, un sentiment si vague, ou si trouble, ou si fugitif, qu’il semblait défier nos prises ; quand il aura vu entre les idées un rapport qui avait échappé à nos yeux, personne n’aura le droit de s’approprier sans le dire ces fruits de sa patience ou de son génie. Celui-là est plagiaire, qui fait tort à la personnalité d’un écrivain, quel qu’il soit, en lui dérobant ses inventions originales.

Considérons, en second lieu, la forme. — Si l’idée que me suggère une de mes lectures provoque le jeu de mon esprit ; si elle était obscure, et que je la clarifie ; si elle était trop restreinte, et que je la complète ; si j’en dissocie les éléments, pour rejeter ceux qui ne me plaisent pas, et en ajouter d’autres ; si je la repense, en un mot, de façon qu’à la fin elle perde sa physionomie première et porte ma marque propre : je n’ai point plagié. Mais si je fais passer dans ma prose une idée que j’ai distinguée, en lui conservant son caractère ; si, étant pressé, ou paresseux, ou faible, je me laisse dominer par elle au point que je me contente de la transcrire : c’est une autre affaire. Il peut être délicat de voir au juste où naît la différence, où la ressemblance finit, de déterminer l’apport personnel que j’ai ajouté à la pensée d’autrui. Or il existe, à défaut d’autres, au moins un moyen de contrôle certain. Si j’ai pris les phrases, les expressions, les effets de style ; si je me suis approprié ce qu’il y a de plus intime dans la création esthétique, — la forme, — alors pas de doute : j’ai plagié.