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continuer la comparaison. On ne saurait discuter sur le premier ni sur le second des points que nous avons établis : Stendhal a pris tout entière une idée originale, une démonstration à la fois subtile et vigoureuse ; il en a reproduit la forme à peu près textuellement. Mais j’entends ici les avocats de la partie contraire. N’y a-t-il pas une note qui sauve l’honneur ? Stendhal n’a-t-il pas écrit, au bas d’une page : Dialogue d’Hermès Visconti dans le Conciliatore, Milan, 1818 ? Et comment parler de plagiat, du moment où il cite son auteur ? La question est de savoir si la note suffit à indiquer toute l’étendue de la dette ; et si son astucieux auteur ne retire pas d’une main ce qu’il donne de l’autre. Voyons.

Remarquons d’abord qu’elle ne laisse supposer à aucun degré qu’il ait pris à Ermes Visconti son style, ses phrases, ses expressions, toute sa forme littéraire, et cela pendant plusieurs pages. Remarquons ensuite qu’elle n’est placée ni tout à fait au début, ni tout à fait à la fin du développement ; elle s’accroche à la phrase : « il est impossible également que l’action comprenne vingt-quatre ou trente-six heures, » et elle a l’air de ne porter que sur l’idée qui s’y trouve exprimée. Remarquons surtout que Stendhal, — c’est ici le plus grave, — donne le dialogue entier non point comme revenant à Ermes Visconti, mais comme étant le fruit de sa propre expérience. Lorsque le romantique et l’académicien ont fini leur discussion, il écrit, en effet : « Ici finit le dialogue des deux adversaires, dialogue dont j’ai réellement été témoin au parterre de la rue Chantereine, et dont il ne tiendrait qu’à moi de nommer les interlocuteurs. Le romantique était poli ; il ne voulait pas pousser l’aimable académicien, beaucoup plus âgé que lui… » L’aveu loyal porte sur un détail, tandis que le mensonge porte sur l’ensemble. En fait, on a cru que la dette de Stendhal à l’égard d’Ermes Visconti se limitait à une vague et lointaine analogie d’idées, pendant cent ans.


III


Encore faudrait-il un exemple qui ne prêtât même pas à discussion : le voici.

Dans les Vies de Haydn, Mozart et Métastase, la seconde des lettres sur Métastase commence par un passage exquis. Stendhal