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dépouillé afin de désintéresser ses créanciers et ceux de son père.

Dans le même temps, il reçoit les épreuves d’un nouveau recueil qu’il dédiera au duc de Bourgogne, et c’est alors qu’il compose sa dernière fable : le Juge arbitre, l’Hospitalier et le Solitaire. Comme le ton a changé ! Ce solitaire chrétien, presque un solitaire de Port-Royal, ne ressemble guère aux ermites paillards et dévergondés des contes. Sa retraite n’est point non plus celle d’un épicurien qui fuit les fâcheux et modère ses désirs afin de pouvoir mieux suivre la nature. Il est venu au désert pour obéir à la volonté divino et apprendre à se connaître… Mais, par le bon sens, la grâce, la malice, l’ingéniosité de la versification, l’agrément de la forme, cette fable est l’égale des plus parfaites. Rien ne trahit le déclin de l’esprit.


VI. — LA MORT DE LA FONTAINE

Dès lors, La Fontaine vécut dans la retraite tout entier au soin de son âme. En décembre 1694, il se sentit plus faible et demeura dans sa chambre Le 16 février 1695, il écrivait à Maucroix :


Je l’assure que le meilleur de tes amis n’a plus à compter sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, si ce n’est pour aller un pou à l’Académie, afin que cela m’amuse. Hier, comme j’en revenois, il me prit, au milieu de la rue du Chantre, une si grande foiblesse que je crus véritablement mourir. Ô mon cher ! mourir n’est rien ; mais songes-tu que je vais comparoître devant Dieu ? Tu sais comme j’ai vécu. Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l’Éternité seront peut-être ouvertes pour moi.


Elle est bien touchante, la réponse de Maucroix. Chrétiennement, il exhorte son ami à se confier à la miséricorde de Dieu, et il ajoute :


… Si Dieu te fait la grâce de te renvoyer la santé, j’espère que tu viendras passer avec moi les restes de ta vie, et que souvent nous parlerons ensemble des miséricordes de Dieu. Cependant, si tu n’as pas la force de m’écrire, prie M. Racine de me rendre cet office de charité, le plus grand qu’il me puisse jamais rendre. Adieu, mon bon, mon ancien et véritable ami. Que Dieu, par sa très grande boulé, prenne soin de la santé de ton corps et de celle de ton âme