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un concours populaire, et, le lendemain, se laisse tomber dans la Tamise, pour ne pas retourner travailler à l’atelier, n’est qu’un tableau de genre peint par un peintre de plein air encore ignorant de son génie propre, un bon travail qui fait songer, à des œuvres connues, mais qui ne révèle pas un homme nouveau[1]. Heureusement, d’autres horizons vont s’ouvrir ; Louis Hémon va suivre le rêve de toute sa jeunesse, traverser l’Océan, vivre où il lui plaira et comme il pourra, dans les pays neufs, et connaître la solitude où il y a tant à voir et à dire.

Le voyage au Canada commence en 1911, et dure environ vingt mois. Les étapes principales en sont indiquées dans les lettres que le voyageur écrivait à sa famille, des lettres brèves, mais où ce partisan des bagages légers a renfermé l’essentiel : Ne vous inquiétez pas, je me porte très bien ; je vous aime comme par le passé, tendrement ; je quitterai le village où je suis à telle date ; — puis, pour faire sourire la famille parisienne, un mot drôle, un trait de mœurs, et toujours le défi d’une jeunesse intrépide, qui accepte gaiement le froid, la neige et la cuisine de la maison dans les bois.


Québec, 18 octobre 1911.

« Bien arrivé à Québec, après une excellente et très agréable traversée. Mer à peu près aussi redoutable que la Seine au pont des Arts. Cette semaine à bord m’a fait autant de bien qu’un mois de vacances… J’ai fait connaissance, sur le bateau, avec un missionnaire qui m’a donné toute sorte de renseignements utiles. Je continuerai probablement sur Montréal demain… »


Montréal, 28 octobre 1911.

« Le temps est encore clément, sauf un peu de neige hier. Mais c’était une pauvre petite neige, genre européen, qui fondait à mesure ; la vraie ne viendra guère qu’en novembre. Aujourd’hui le soleil brille. Le climat et le régime me vont à merveille. Le pays me plaît. Je commence à parler canadien comme un indigène. Je prends « les chars » (tramways électriques) ; je parle tout naturellement de la « chambre de bains » et de la « chambre à dîner » sur le même « plancher » (étage). C’est une langue bien curieuse. »

  1. Louis Hémon a écrit, parait-il, un roman, encore inédit, dont l’action se passe dans le monde des boxeurs et des entraîneurs anglais.