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« Elle vint comme un son de cloche, comme la clameur auguste des orgues dans les églises, comme une complainte naïve et comme le cri perçant et prolongé par lequel les bûcherons s’appellent dans les bois. Car en vérité, tout ce qui fait l’âme de la province tenait dans cette voix : la solennité chère du vieux culte, la douceur de la vieille langue jalousement gardée, la splendeur et la force barbare du pays neuf où une race ancienne a retrouvé son adolescence.

« Elle disait : nous sommes venus il y a trois cents ans et nous sommes restés. Ceux qui nous ont menés ici pourraient revenir parmi nous sans amertume et sans chagrin, car s’il est vrai que nous n’ayons guère appris, nous n’avons rien oublié. Nous avions apporté d’outre-mer nos prières et nos chansons : elles sont toujours les mêmes. Nous avions apporté dans nos poitrines le cœur des hommes de notre pays, vaillant et vif, aussi prompt à la pitié qu’au rire, le cœur le plus humain de tous les cœurs humains : il n’a pas changé. Nous avons marqué un plan du continent nouveau, de Gaspé à Montréal, de Saint-Jean-d’Iberville à l’Ungava, en disant : Ici toutes les choses que nous avons apportées avec nous, notre culte, notre langue, nos vertus et jusqu’à nos faiblesses deviennent des choses sacrées, intangibles, et qui devront demeurer jusqu’à la fin.

« Autour de nous des étrangers sont venus, qu’il nous plaît d’appeler des barbares ; ils ont pris presque tout le pouvoir ; ils ont acquis presque tout l’argent ; mais au pays de Québec, rien n’a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage… C’est pourquoi il faut rester dans la province où nos pères sont restés, et vivre comme ils ont vécu, pour obéir au commandement inexprimé qui s’est formé dans leurs cœurs, qui a passé dans les nôtres, et que nous devons transmettre à notre tour à de nombreux enfants… »

C’est pourquoi Maria Chapdelaine, un soir qu’il viendra veiller, répondra à Eutrope Gagnon, l’homme patient de la terre :

« Oui, si vous voulez, je vous marierai comme vous m’avez demandé, le printemps d’après ce printemps-ci, quand les hommes reviendront du bois pour les semailles. » Elle aura dit ainsi tout l’avenir, et tout le passé.


RENE BAZIN.