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appartiennent ; sur le cadavre, abandonné au bord d’une route, un papier est souvent épingle portant ces mots : « Jugé, condamné et exécuté. Espions, gare à vous ! Armée républicaine irlandaise. » Jugé, c’est une façon de parler, car point de procès et point de défense. Cette soi-disant justice étant fort expéditive, des erreurs sont commises, et parfois reconnues. La « Terreur verte » ne regarde pas aux moyens pour imposer sa loi, et croit se justifier en arguant des nécessités de la guerre qui font que le Sinn Fein en campagne doit assurer ses arrières et que, vivant de la confiance du pays, il a le droit de se montrer impitoyable pour les traîtres comme le devoir de tenir en respect tous ceux qui seraient tentés de désobéir à ses ordres ou de nuire à sa cause.

On tue n’importe quand et n’importe où, au domicile de la victime, à l’hôtel, au restaurant, au cinéma, en tramway, en pleine rue : un coup de feu, l’homme tombe et le meurtrier s’éclipse ; ou bien, quatre ou cinq affidés tirent la personne à part et lui font son affaire à quelques pas de là. La plupart du temps, telle est la terreur que personne des assistants n’ose bouger, car chacun sait qu’au moindre mouvement dix brownings seraient braqués sur lui, et personne n’ose témoigner en justice, car nul n’ignore qu’il y va de la vie.

Vis-à-vis des forces de la Couronne, avec de l’audace, du coup d’œil et de la vitesse, le coup de main réussit souvent. On fait des raids sur les postes armés, les blockhaus et les casernes. On fait sauter ou dérailler les trains de troupes. On attaque au fusil ou à la grenade les auto-camions chargés de soldats ou de constables, dans la rue ou dans la campagne : des civils sont tués ou blessés au cours de l’affaire, qu’importe ! On assaille, par embuscades soigneusement « tendues, » des partis de réguliers. Le commandant de compagnie, qui a charge de l’opération, prépare les choses dans le plus petit détail ; il distribue les rôles, qui aux bombes, qui au fusil, qui au revolver, il place ses hommes, organise les patrouilles, envoie des scouts en information, dispose les arrière-gardes et les lignes de retraite ; il rend compte à ses chefs par écrit. Pour peu que l’affaire en vaille la peine, on détruit les ponts, on bloque les routes, on creuse des tranchées, on coupe les fils télégraphiques, on « isole » une région ou une ville. Parfois ce sont ainsi de vraies petites batailles qui durent plusieurs heures et où, de