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organe d’exécution du « Château, » s’est trouvée au printemps de 1920 défaillante : ces Irlandais se refusaient à faire la guerre à l’Irlande. En hâte, non seulement on combla les vides, mais on doubla les effectifs en enrôlant comme on pouvait en Grande-Bretagne des recrues parmi les démobilisés et les sans-travail, y compris, dans le nombre, des gens peu recommandables qui très vite gâtèrent le reste. Comme au début ils portaient avec le khaki quelque effet d’uniforme noir de la Constabulary, ils se virent appelés Black and Tans, noirs et khakis, du nom d’une race célèbre de chiens de chasse de Limerick. De plus on les renforça par une formation soi-disant d’élite, les « Auxiliaires, » recrutés en Angleterre parmi les ex-officiers de la guerre, lesquels eurent rang de « cadets » tout en servant comme constables : plus instruits que la masse des 15 000 Black and Tans, choisis dans des milieux plus cultivés, ces 15 à 1 600 Auxiliaires sont aussi plus indépendants ; jeunes, allants, énergiques, ils semblent, quand ils partent en opérations, béret sur la tête, rifle en main et revolver pendu au côté, de frais et joyeux chasseurs en quête d’un good sport.

Vu l’urgence, on n’a pris le temps ni de les discipliner, ni de les encadrer comme il faut ; on les a lâchés sur le pays, comme pour une expédition « punitive, » avec le sentiment que tout est permis contre ces traîtres et ces criminels que sont les irish swine. Ils savent que l’autorité est restée jusqu’alors impuissante à châtier le crime : ils s’en chargeront ! Vivant au milieu d’une foule en grande partie hostile, de laquelle les hommes de l’armée républicaine ne se distinguent pas à première vue, puisque cette armée n’a pas plus d’uniforme que n’en avaient les Boers il y a vingt ans, conscients que de la poche du premier venu dans cette foule peut à tout instant jaillir un revolver ou une grenade, ils sentent que leur vie est dans leurs mains, ils se disent que leur sécurité n’est faite que de la crainte qu’ils inspireront : oderint dum metuant ! Instinct de conservation, esprit de vengeance et de licence, tout s’unit pour les porter à faire la guerre à la nation entière. Ils sont là comme en pays conquis, — comme les Allemands en Belgique en 1914, a dit le général sir H. Lawson, — défiants, grondants, violents. Brimer, brutaliser, terroriser la population, ne serait-ce pas d’ailleurs le meilleur moyen de la forcer à « évacuer » ses mauvais éléments ? Ils s’en donnent. Comme les républicains coupent parfois les