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grand trouble dans l’Empire et expose l’Angleterre aux malentendus et aux critiques hostiles de la part même des nations animées à son égard des meilleurs sentiments. »

Il est certes à l’honneur du peuple anglais que, dans le même temps où les crimes du Sinn Fein provoquaient de sa part une très naturelle indignation, on ait pu voir se dresser contre le régime des « représailles » un tel faisceau de protestations, dont nous ne voulons pas croire qu’elles n’aient toutes été motivées que par un vain désir de faire de l’opposition politique à M. Lloyd George. Elles n’ont d’ailleurs rien changé à la politique irlandaise du gouvernement, à ce que le Manchester Guardian a appelé un jour « le plus terrible chapitre de notre histoire depuis 1798. » Elles ne changent rien non plus à sa responsabilité : elles la marquent seulement.

Ce qu’on lui reproche, ce « n’est pas d’avoir trop sévèrement appliqué la loi, mais d’avoir suspendu toute loi et mis à la place un régime de terreur : » ainsi jugeait naguère le Times. Maintenir l’ordre et la loi, law and order, selon la formule traditionnelle, c’est le premier de ses devoirs, et celui que précisément il ne remplit pas en Irlande, où il ne fait que provoquer l’anarchie. « Si l’illégalité doit être la réponse à l’illégalité, écrivait déjà l’Observer en août 1920, ce sera la destruction de tout ordre établi. » Lord Robert Cecil a dit à peu près la même chose aux Communes le 21 février dernier : « La suprématie de la loi est la garantie de la liberté, et les représailles sont la négation de cette suprématie. »

Ce qu’on reproche au gouvernement, ce n’est pas d’avoir voulu réprimer durement les excès ; mais « châtier le crime par le crime, punir les innocents pour les coupables… c’est substituer la vengeance à la justice : » la « vengeance toute puissante, » voilà, pour M. Asquith, la politique des autorités eu Irlande, une « politique de violences sans discernement ni responsabilité. » Une politique « criminelle, » « cruelle et inhumaine, » renchérit la Commission d’enquête Henderson. « Ce n’est pas, a dit l’archevêque de Canterbury aux Lords le 22 février, une question de politique, mais une question de morale, de juste et d’injuste… Si on n’obtient la paix qu’au moyen d’injustices, cette paix ne vaut pas la peine qu’on l’obtienne. On ne chasse pas, on ne châtie pas les démons en appelant à l’aide le diable lui-même. »