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remplissent les « Kino. » On serait mal venu à leur parler d’économies. Une ouvrière reçoit 1500 couronnes par semaine ; un ouvrier en a 4 000 ; un contre-maître, 10 à 12 000. Il en peut gagner 16 000, s’il a des enfants ; car ici les salaires sont proportionnés non aux capacités, mais aux charges du travailleur.


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Le portier de mon hôtel semble prodigieusement intéressé par mes faits et gestes. Il me surveille. Je n’ai garde de m’en étonner. Ainsi que tous les portiers, il est plus ou moins confident de la police.

Moins tracassière que sous l’ancien régime, la police n’en continue pas moins d’exercer son influence occulte. « L’Autriche n’a jamais eu de gouvernement, ai-je souvent entendu dire depuis mon arrivée ; elle n’a qu’une police admirablement organisée. »

Cette police surveille, espionne chacun des habitants du pays et, spécialement, chacun des étrangers qui y séjournent ou qui y sont de passage. Elle recrute ses agents dans tous les milieux.

Un Français, familier avec la Vienne d’avant et d’après-guerre, me confie avec une douce philosophie :

— Mon domestique va faire son rapport sur moi tous les jours ; il sait aussi bien que moi ce que je fais ; il y ajoute ce qu’il suppose que j’aurais dû faire. Je tiens cet honorable serviteur d’un colonel qui, en me le cédant, m’a averti… Soyez-en sûre, chacun ici à son « ange gardien. » Le concierge de la maison que vous habitez est mieux placé que personne pour être renseigné sur vous. Il lit les suscriptions de vos lettres. Grâce à la coutume de venir ouvrir la porte la nuit, — on ne tire pas le cordon, à Vienne, — il connaît le plus intime de votre vie privée. Son zèle peut être doublé par celui d’une de vos amies, d’une soi-disant amie qui écoute ce que l’on dit dans votre salon, qui vous « file, » au besoin, dans la rue…


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« La guerre commerciale est aussi dure que la guerre militaire, écrit dans un de ses rapports l’attaché commercial français à Vienne ; on y compte moins de cadavres, mais on n’y fait pas de prisonniers. »