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Frau Popp parle d’une voix sourde, sans geste ; aucune exubérance, mais une espèce d’exaltation dure et concentrée. Brusquement, elle me déclare appartenir au parti de l’Anschluss :

— Non par animosité contre la France ; nous ne sommes pas comme les Allemands : nous n’avons aucune haine pour vous. Vous nous êtes plutôt sympathiques (sic) ; mais les questions de sentiment ne peuvent modifier les nécessités politiques et économiques. La France est trop loin, pour nous. Tout nous rapproche au contraire de l’Allemagne. Tant que le rattachement n’aura pas eu lieu, il y aura des troubles, en Autriche.


Schœnbrünn. — Pour aller à Schœnbrünn, il faut choisir une belle et chaude journée. Le contraste alors est délicieux avec la ville bruyante que tourmente un vent continuel, grand remueur de poussière.

A Vienne, on a soigneusement effacé ce qui, dans les rues, rappelait l’ancien régime. Les « K. K. » ont été supprimés à la porte des institutions qui étaient à la fois Königlich und Kaiserlich. Il n’y a plus de K. K. lotto, plus de K. K. Tabaktrafik, plus de K.K. Commission ; mais à Schœnbrünn, rien n’a été changé.

Tout ici parle encore du vieil empereur. Quand il revenait de Vienne, de chez Catherine Schratt, l’ancienne actrice du Burgtheater, chez qui il avait fait sa quotidienne partie de cartes, il rentrait par cette vaste cour, bien moins comme un souverain que comme un riche bourgeois, au grand trot de ses chevaux. Il montait dans ce palais à la façade d’un vilain jaune foncé sur laquelle tranche la teinte verte des persiennes, puisque, aussi bien, ces couleurs étaient réservées aux demeures « royales et impériales. »

A côté de moi, deux jeunes gens évoquent le « vieil Empereur. » Ils en parlent sur un ton affectueux. Redouté dans tout le reste de son empire, François-Joseph ne fut aimé que des Viennois, mais il en fut vraiment aimé. Ils étaient fiers de sa courtoisie, de ses manières d’autrefois : « C’était un gentilhomme, » m’a-t-on souvent répété. Le peuple ne le rendait pas responsable des sujets de mécontentement qu’il pouvait avoir : « L’Empereur ne sait pas… Ah ! s’il savait… disait-on. » Pourtant, quel souverain fut plus orgueilleux, plus dur que celui-là,