Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit qu’il va gagner ses appartements privés. L’officier objecte :

— Ils sont fermés.

— Alors, menez-moi chez l’amiral Horthy…

Le gouverneur se mettait à table avec sa famille. Un aide de camp lui annonce le Roi.

— Quel roi ? demande brusquement Horthy.

— Celui qui était ici, avant.

Horthy hausse les épaules et d’un mot méprisant congédie l’officier :

— Vous êtes ivre.

Cependant, il se lève, quitte la salle à manger, se trouve en présence du Roi. Émouvant tête-à-tête. Facilement, on peut l’imaginer. L’ex-souverain exige que l’amiral lui remette immédiatement le pouvoir. Horthy écoute : sa bouche aux lèvres minces et comme rentrées demeure fermée. Sur son visage est peinte cette expression de fermeté qui, jamais, ne le quitte. Debout, on le sent respectueux, mais non comme un sujet prêt à déférer aux ordres d’un maître. Quelle lutte en lui ! Elevé par les soins de l’empereur François-Joseph dans une école militaire, ancien aide de camp impérial, très légitimiste, l’amiral Horthy n’en comprend pas moins l’immense péril qu’offre, pour la Hongrie, le coup de tête royal.

Pris entre deux serments, l’un premier en date, l’autre juré devant le Parlement, contraint de choisir entre son roi et sa patrie, Horthy ne saurait hésiter : « J’ai choisi ma patrie, persuadé que c’était, en même temps, agir au mieux pour le Roi… »

Mais la peine ou plutôt la douleur du Régent est réelle d’être contraint de dire : « Vous êtes le Roi et je dois vous supplier de vous en aller… »

— Jamais, m’a avoué l’amiral Horthy, au cours de l’entretien que j’ai eu avec lui, jamais je n’ai traversé d’instants plus cruels que ceux où je cherchais à connaître où était mon devoir. En mai 1917, j’ai soutenu contre les Anglais un violent combat. Les grenades tombaient autour de nous, sans répit ; c’était un orage de feu. Ce moment-là était agréable en comparaison de ceux que j’ai passés, alors…

Pour décider le Roi à se retirer, l’amiral Horthy reprend tous les arguments du comte Téléki. Il convoque quelques-uns des chefs du parti légitimiste, parmi lesquels le comte Andrassy. Tous sont du même avis : le Roi doit partir. Le Roi refuse. Comme les