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préteur, son tribun, ses sénateurs ; ils faisaient de leurs cours des séries d’assauts, de corps à corps, de disputes, de tournois ; ils transformaient l’humble vie de l’écolier en un drame perpétuel. Jamais on n’avait développé à ce point l’émulation. Elle était l’âme même de leur enseignement. Nous en avons conservé quelques vestiges : les notes périodiques, les concours, les tableaux d’honneur. Dans mon enfance, le banc d’honneur subsistait encore où s’asseyaient pendant une semaine les trois ou quatre élèves premiers en composition. Mais l’émulation a rencontré de rudes détracteurs chez nos pédagogues d’aujourd’hui, la plupart infectés de kantisme. Qu’il y ait eu excès chez les Jésuites, je l’accorde. Mais avaient-ils tort de relever dans l’imagination des adolescents l’importance de la petite tâche quotidienne, de l’embellir à la façon d’un trophée, de les en rendre fiers et même un peu glorieux, de les attacher enfin, le plus longtemps possible, à des satisfactions d’amour-propre qui les empêchaient d’en rêver d’autres et qui étaient en même temps des acquisitions pour l’esprit ? L’émulation qu’on voudrait étouffer chez nos élèves ne les saisit-elle pas au sortir du collège ? J’ai remarqué que ceux qui s’en déclaraient les ennemis n’étaient point les derniers à en ressentir l’aiguillon quand il s’agissait de titres, de décorations, d’honneurs et de prébendes. Mais quelle vocation, quel dévouement, quelle foi dans l’efficacité de leur enseignement, quelle dépense d’eux-mêmes, chez des maîtres qui appliquent une pareille méthode ! Le drame dont ils règlent les péripéties, ils n’en sont pas seulement les metteurs en scène, il faut qu’ils y jouent leur rôle.

Les professeurs de Louis-le-Grand l’y jouaient à merveille : ils furent aussi fins psychologues qu’ingénieux animateurs. Ils avaient inauguré les devoirs écrits que le Moyen âge ignorait. Ces devoirs étaient plus courts que ceux d’aujourd’hui et choisis presque toujours de nature à piquer la curiosité. On mettait, par exemple, sous les yeux de l’élève un dessin, une estampe, dont il devait interpréter le sens moral. On lui donnait à composer une épigramme ou une inscription pour un arc de triomphe, un temple, un tombeau, une statue. Ces exercices trop poussés ont le défaut de favoriser, au détriment de qualités plus sérieuses, un certain tour d’esprit superficiel et brillant. Les Jésuites ont trop préparé, puis trop encouragé la légèreté spirituelle du XVIIIe siècle.