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j’ajoutai qu’en considération de ce sentiment patriotique, qu’il devait trouver sans doute naturel et respectable, j’espérais qu’il ne se formaliserait pas du refus que j’opposais à ses offres magnifiques, dont j’étais reconnaissant et honoré.

Après cet entretien, le vice-roi nous quitta, M. Dillon et moi, d’un air préoccupé, et je ne le revis plus de quelque temps.

Mais, dans l’intervalle, le consul vint un jour à bord du Lynx m’annoncer qu’il avait chez lui un mandarin, chargé par Li-Hong-Tchang de m’acheter des cadeaux pour une très forte somme, et qu’il attendait ma réponse et l’indication de mes préférences pour procéder à ces achats.

Je priai M. Dillon de répondre à ce mandarin de remercier de ma part le vice-roi, en lui disant que je ne voulais aucun de ces souvenirs précieux, et que je me réservais de lui dire moi-même celui que je préférais, en lui faisant ma dernière visite d’adieux officielle.

Quelque temps après, j’allai prendre congé de Li-Hong-Tchang avec M. Dillon, la veille de mon retour en France.

Il nous reçut affectueusement, mais d’un air soucieux, et me renouvela les offres qu’il m’avait faites de rester à son service, à la tête de la marine chinoise, me répétant que si, dans l’avenir, j’étais mécontent de ma carrière maritime, ou pour toute autre raison, je n’avais qu’à l’en informer et qu’il me donnerait aussitôt la situation exceptionnelle que je persistais à lui refuser,

Après m’être confondu, à nouveau, en excuses à ce sujet, je vis passer une ombre sur son visage quand j’ajoutai, d’une voix hésitante :

— Cependant, j’ai encore une demande, à laquelle j’attache le plus haut prix, à adresser à Votre Excellence : je ne voudrais pas me séparer du plus grand homme d’État de l’Empire, sans emporter de lui, comme souvenir… sa photographie !

Aussitôt sa figure s’éclaira d’une vive expression de soulagement ; il appela bruyamment, en riant, un secrétaire, il lui demanda une de ses photographies, qu’il couvrit de la longue énumération de ses titres à la cour et de son cachet, et il me la remit, avec une cordiale poignée de mains, en me souhaitant bon retour en France.