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commune, son protecteur, qu’il avait voulu lui donner le prénom du grand évêque, inaccoutumé dans la famille. En grandissant, le garçonnet se découvrit de complexion délicate et presque souffreteuse. Les terribles jours qui suivirent sa naissance, la famine de l’an III, née des lois sur le Maximum, augmentèrent ces dispositions maladives. Que de fois M. Jacques Thierry dut, avec la foule, attendre à la porte des boulangers, pour procurer à sa maisonnée un peu de ce pain que les plus riches ne pouvaient même pas obtenir au poids de l’or !

La naissance d’un second fils, Amédée, en 1797, puis d’une fille, Adélaïde, en 1802, avaient lourdement augmenté les charges du ménage. Pour y mieux subvenir, Jacques Thierry courait le cachet à ses heures libres, arrondissant ses maigres émoluments du produit de quelques leçons de musique. Le rétablissement du culte, en lui rendant son lutrin a la cathédrale, vint enfin soulager un peu cette fière pauvreté.

Quittant la rue Fontaine-des-Élus, on alla s’installer au n° 13 de la rue des Violettes, une venelle du vieux Blois, escarpée, raboteuse, qui escaladait la colline où surgit orgueilleusement la merveille du Primatice, le château superbe des Valois. La maison existe encore, assez haut perchée dans

Cet escalier de rues
Que n’inonde jamais la Loire au temps des crues,

étroite et basse, toute grise sous un toit moussu de vieilles tuiles. Après son père et sa mère, Adélaïde Thierry y mourut en 1878 ; c’est là que fut commencée l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands, là aussi qu’Amédée Thierry écrivit les premières pages de l’Histoire des Gaulois.

Au printemps de 1804, Augustin atteignait sa neuvième année. Déjà il annonçait les dispositions les plus rares : ardeur et facilité au travail, intelligence subtile et compréhensive, doublée d’une étonnante, d’une prodigieuse mémoire. Le père avait cultivé de son mieux d’aussi précieux avantages, efficacement secondé par sa femme, qu’un témoignage du grand historien, rendant plus tard un hommage filial à cette salutaire influence, nous dépeint « douée d’une imagination vive et passionnée, se plaisant aux lectures poétiques. » Sans doute est-ce à son atavisme maternel qu’il doit à la fois sa pénétrante sensibilité, la richesse merveilleuse de ses facultés évocatrices,