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mon cœur, » et lui fera obtenir une pension du ministère de l’Instruction publique.

Au reste, les souvenirs de collège ne cesseront jamais d’occuper une grande place dans la pensée de l’écrivain. Le nom de ses condisciples : Blanchet, Jacques Bernier, Bailly, Aucher-Eloy, Monestier, Gros-Tramer revient fréquemment dans sa correspondance. Jamais ils ne réclameront en vain ses conseils ou sa protection. Dans les ténèbres de sa nuit, l’aveugle se complaît à évoquer la douceur de ses années d’enfance et les joies de son âge d’écolier. Quand la mort de sa femme vient à jamais endeuiller sa vie, c’est dans ces souvenirs apaisants qu’il cherchera quelque consolation à son affreuse douleur.

« Mon cher camarade, écrit-il le 18 octobre 1844 à M. Gros-Tramer, le Thierry (Augustin) à qui vous venez d’écrire est celui qui a été sur les mêmes bancs que vous, qui a joué avec vous et qui, en 1811, lorsque vous sortiez du collège, est entré à l’Ecole Normale. Celui qui a fait ses classes avec votre jeune frère est mon frère Amédée, ex-préfet de la Haute-Saône, maintenant maître des Requêtes au Conseil d’État et, comme moi, membre de l’Institut. Pour moi, privé de la vue depuis dix-neuf ans, je suis resté simple homme de lettres ; je me suis marié aveugle, il y a treize ans, et je viens de perdre cette année celle qui était le soutien et la consolation de ma vie. Sous le poids de ce malheur, je ne trouve de soulagement que dans deux choses : l’amitié de ceux qui m’entourent et mes souvenirs. Le vôtre m’a fait un vrai plaisir. J’ai rêvé un moment à ces jours d’enfance et de première jeunesse, que nous avons passés ensemble et qui sont maintenant si loin de nous. Si vous venez à Paris et que je sois encore de ce monde, je serai charmé de vous serrer la main, de causer avec vous de nos amis d’autrefois et de vous offrir un exemplaire de mes ouvrages que vous estimez beaucoup au-dessus de leur mérite.

« Recevez, mon cher camarade, l’assurance de ma vieille et franche amitié. »

L’élève achevait sa rhétorique, lorsque se produisit un fait qui devait être décisif dans sa vie et lui révéler sa vocation. L’étude de l’histoire était à cette époque lettre close dans l’éducation publique. L’Abrégé de l’Histoire de France à l’usage des élèves de l’École royale militaire, méchante compilation dressée en 1788, était le seul livre enseigné. Là, on apprenait l’histoire