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« Les poètes, s’écriaient-ils, dans une péroraison devenue fameuse, les poètes, dans leur imagination, ont placé l’âge d’or au berceau de l’espèce humaine, parmi l’ignorance et la grossièreté des premiers temps. C’était bien plutôt l’âge de fer qu’il y fallait reléguer. L’âge d’or du genre humain n’est point derrière nous, — il est devant. »

La précision, la vigueur, l’éloquence du style, si différent de l’obscur et tortueux fatras habituel au sociologue, assurèrent la fortune de l’ouvrage. Le Censeur lui consacra un article élogieux. Succès éphémère et sans lendemain. Hélas ! Saint-Simon eut beau écrire au Isar pour lui soumettre son œuvre, ce n’était qu’une belle utopie de plus à joindre aux chimères de ces autres songe-creux, l’abbé de Saint-Pierre ou le marquis de Chastellux. Seulement, en cette année 1814, en pleine et fougueuse réaction, l’audace de la thèse défendue sembla révoltante à ceux « qui n’avaient rien appris, ni rien oublié. » Si révoltante et scandaleuse que l’abbé de Montesquiou n’hésita pas à signer la révocation du professeur coupable de pensée indépendante. Le sort en est jeté : à dix-neuf ans, Augustin Thierry n’a plus d’autres ressources que sa plume pour vivre.

Derechef, après un court passage à Blois pour aller rassurer sa famille, il se plonge dans le travail, fréquente les bibliothèques, collige pour Saint-Simon les matériaux des articles que celui-ci donne au Censeur sur la nécessité d’organiser le ministère et l’opposition. Le philosophe se posait alors en défenseur des acquéreurs de biens nationaux. Afin de sauvegarder leur propriété menacée, il apportait un plan précis et détaillé auquel avait collaboré son secrétaire. Une agence générale sera formée à Paris, on établira des agences départementales, véritables banques de prêts pour les propriétaires ; on publiera des journaux et des livres destinés à protéger l’état de choses en péril. Saint-Simon allait donner l’exemple quand on apprit le retour de l’île d’Elbe.

À cette nouvelle, le réformateur, indigné de voir interrompue « l’œuvre de paix, » fulmine contre Napoléon dans un pamphlet daté du 15 mars 1815[1].

La « manière » d’Augustin Thierry y apparaît sensible en plus d’un endroit. Dans les allusions à la levée en masse des

  1. Profession de foi du comte de Saint-Simon, au sujet de l’invasion du territoire français par Napoléon Bonaparte.