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de 1792, celle de la liberté, des droits de l’homme et du citoyen, de l’égalité civile et politique, de la propriété, conséquence et garantie de la liberté ; » une épouvantable et funeste régression : « On cherche à refouler la France dans la route que l’Europe a quittée, il y a quatre ou cinq mille ans ; c’est le régime de la tribu qu’on relève contre celui de la cité libre[1]. »

Pour lui, le droit au travail « porte en lui-même, d’un côté, la ruine des finances, de l’autre la ruine de l’industrie, parce que les ateliers de l’Etat seront le foyer d’une grève permanente contre ceux des particuliers[2]. »

Et dans une lettre éloquente à la princesse Belgiojoso, il donne libre cours à sa répulsion : « Que l’Italie veille sur elle-même et se gare de ces empoisonneurs, de ces philanthropes qui, au nom des souffrances d’une classe, lui donnent à dévorer toutes les autres ; de ces publicistes pour lesquels la patrie n’existe pas et qui font fi de la liberté, qui placent les droits dans les besoins, l’égalité dans les estomacs et proposent comme fin de la société humaine une régie de tout par l’Etat avec distribution à tous de travail et de pitance, c’est-à-dire un bagne paternel ou un bagne démocratique administré fraternellement. Quant à moi, plutôt que de voir le moindre commencement de ce régime ignoble, je souhaite que Dieu me retire de ce monde, fut-ce par la main de ces atroces fanatiques qui veulent tuer ou se faire tuer pour lui[3]. »

Entre deux âmes, — et de telles âmes, — qui ne se pénétraient plus, le divorce était inévitable : il s’accomplit définitivement au mois d’octobre. La rupture se produisit avec tristesse, mais sans colère. La haine, comme il arrive trop souvent, ne remplaça point la tendresse. Augustin Thierry demeura déférent et juste pour celui qui l’avait accueilli et aimé. Malgré la contradiction des points de vue, jamais aucune attaque contre lui ne sortit de sa plume. Lorsque le philosophe désespéré tenta de se suicider, il alla lui rendre visite et lui offrir ses services. Il tint aussi à lui adresser l’un des premiers en hommage l’Histoire de la conquête de l’Angleterre à son apparition. Saint-Simon mourant trouva la force encore de lire l’ouvrage et d’en apprécier le mérite. Averti du décès de son ancien

  1. Lettre à M. Lucien Daveziès.
  2. Lettre à M. de Cherrier.
  3. 10 juillet 1848.