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passionnément de la rencontrer. « Dans ma jeunesse, lui écrit-il dès sa seconde lettre, je m’étais fait une image de femme que je n’ai rencontrée nulle part. Ce fantôme charmant, qui me suivait partout, qui était toujours invisible à mes côtés et que j’aimais a l’idolâtrie, si vous m’apparaissiez, je le reconnaîtrais… » Nous connaissons le thème : dans chaque femme nouvelle, René croyait retrouver sa « sylphide. »

Enfin, ils se virent à Paris trois ou quatre fois, aux mois de mai et juin 1829. Que se passa-t-il exactement dans ces entrevues ? René s’y est-il montré, comme l’a dit Emile Faguet, « un peu plus jeune qu’il ne fallait, un peu moins platonicien qu’évidemment la marquise ne désirait qu’il fût, » et fallut-il le rappeler aux convenances ? Il est possible, et la lettre de Mme de Vichet qui suivit la première visite peut certainement être interprétée dans ce sens : « Mon frère… vous êtes plus jeune que je ne croyais ; vous paraissez plus jeune que vous n’êtes, et mes lettres sont inconvenantes. Mon orgueil en souffre, vous me consolerez aisément en me traitant comme une femme qui voit ce qu’elle est et sent ce qu’elle vaut. » Quant à René, il est possible aussi, quoique non prouvé, que les scrupules, — et l’âge, — de « Marie » l’aient vite rebuté. On admet généralement que le roman s’arrêta là, et qu’après cette déception réciproque, Mme de Vichet retourna s’enfermer dans son Vivarais. Elle mourut en 1848, presque en même temps que Chateaubriand.

Mais il n’est pas sûr que l’idylle ait pris fin au mois de juin 1829. M. Gabriel Faure nous rapporte un témoignage de la détentrice actuelle des papiers de Mme de Vichet, qui nous fait supposer que la correspondance avec Chateaubriand a été « en partie » détruite ; et d’autre part, on a l’adresse d’une lettre de René à la marquise, datée du 24 mars 1831. Peut-être un jour nous en apprendra-t-on davantage, et saurons-nous si, comme le supposait Vogué, « Marie » est allée rejoindre « son maître chéri » aux eaux de Cauterets, et doit être confondue avec « l’Occitanienne. » Dans l’état actuel de notre information, l’hypothèse, je l’avoue, me parait toute gratuite. Mme de Vichet était « Occitanienne, » c’est-à-dire méridionale, et en 1829, elle écrivait depuis près de deux ans à Chateaubriand, sans l’avoir jamais vu. Mais à cela se bornent les analogies. « Marie » n’a pas « seize ans, » mais cinquante, et, si