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Tout à la fois honteux et fier de ton caprice,
Sans croire à toi, je m’en laisse enivrer ;
Oui, je brûle pour toi, mais je me rends justice ;
Je sens l’amour et ne puis l’inspirer.

Je n’ai point le talent de Virgile et du Tasse :
Mais quand le ciel m’eût fait cet heureux don,
Le talent ne rend point ce que le temps efface ;
La gloire, hélas ! ne rajeunit qu’un nom.


Ce n’est pas seulement le même thème que dans la confession ; ce sont parfois les mêmes mots, et presque les mêmes phrases :

Te devais-je autre chose que la plus vive reconnaissance pour t’être un moment arrêtée auprès du vieux voyageur ?… Si tu te laissais aller aux caprices où tombe quelquefois l’imagination d’une jeune femme… tu irais te purifier dans des jeunes bras d’avoir été pressée dans les miens… Les passions ne rendent point ce que le temps efface : la gloire ne rajeunit que notre nom.


Ces ressemblances verbales, que Maurice Masson a le premier signalées et très finement commentées, et qui ne sauraient être fortuites, peuvent suggérer une double hypothèse. Ou bien ce sont des formules littéraires qui s’imposaient a la mémoire de René, et qu’il retrouvait tout naturellement sous sa plume toutes les fois qu’il avait à exprimer le même sentiment[1] : il serait donc un peu arbitraire de s’en autoriser pour dater la confession en prose. Ou bien, on peut admettre, — avec Vogué et Maurice Masson, — qu’une partie tout au moins de la confession en prose est contemporaine de la pièce A Délie, et qu’elles ont été toutes deux inspirées par la même

  1. « La pensée de gâter une vie qui est à toi, à toi à qui je dois de la gloire pour me faire aimer, peut seule m’empêcher de jeter tout là et de t’emmener au bout de la terre, » lit-on dans une lettre à Mme de C*** (5 octobre 1823). On reconnaît une expression qui figurait dans un passage primitif des Mémoires d’outre-tombe relatif à Mme de Mouchy, et qui nous a été conservé par Sainte-Beuve : « Mais ai-je tout dit dans l’Itinéraire sur ce voyage commencé au port de Desdémone et d’Othello ? Allais-je au tombeau du Christ dans les dispositions du repentir ? Une seule pensée m’absorbait, je comptais avec impatience les moments. Du bord de mon navire, les regards attachés sur l’étoile du soir, je lui demandais des vents pour cingler plus vite, de la gloire pour me faire aimer… » L’authenticité de cette page, — qui a été écrite en 1833, — a été jadis contestée, pour des raisons assez puériles, et des flots d’encre ont inutilement coulé pour embrouiller cette toute petite question.