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les ondulations du granit, et suivant la courbe du rivage, montre en tournant de nouveaux paysages. Bientôt, par-delà une baie, toute la ville de Montevideo apparaît sur la droite, et à sa gauche la butte conique du Cerro. A la nuit, la chaussée devient une longue file de lumières ; les phares clignent sur la mer, et les feux de Montevideo s’étagent au fond de la baie. Mais dans ce pays tout est croissance et devenir. Il faut le décrire comme un être en mouvement. Voici que déjà, à quatre lieues de Pocitos, une troisième plage, celle de Carrasco, s’enveloppe à son tour de constructions neuves.

Il y a à Montevideo peu de monuments : la cathédrale, consacrée en 1804 ; un édifice colonial, rectangulaire, qui servait autrefois de réunion au Cabildo. L’ancienne ville, qui était simple et militaire, n’a presque pas laissé de vestiges. On retrouve à peine quelques maisons anciennes. On achève de construire un palais législatif, qui sera un monument magnifique. L’Université est un édifice qui ferait honneur à toute capitale. En revanche, les musées, ces nécropoles des vieilles civilisations, existent à peine : un petit musée historique et quelques salles d’un musée des Beaux-Arts. Nous sommes dans un pays tout neuf, et qui a les caractères de cette nouveauté.

Cette nouveauté même, pour un voyageur qui vient d’Europe, est d’un extrême intérêt. Ces jeunes sociétés d’Amérique du Sud, qui se développent si vite, sont sous nos yeux comme des organismes en croissance, dont nous observons, dans un jardin d’expériences, le progrès changeant et prompt. Il n’y a rien de plus intéressant qu’un peuple qui grandit. Ces pays nous ont emprunté nos idées ; mais bien souvent ils nous dépassent. Ils ne sont pas arrêtés, comme nous, par les entraves compliquées du passé. Des programmes, encore en discussion ici, sont réalisés là-bas. Ainsi cette société qui sort à peine des guerres civiles et qui achève seulement de se consolider, présente tout ensemble un aspect archaïque et une figure de l’avenir. Les mœurs sont en grande partie restées anciennes, les institutions sont hardiment neuves. Ce contraste fait un équilibre fort curieux : c’est peut-être parce que les mœurs sont au fond conservatrices que les lois peuvent être si avancées.

Tout cela peut servir de raison à décrire un pays si peu connu en France. Mais il y a une autre raison de parler de lui. C’est que nulle part peut-être à la surface de la terre, la France