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atteindre la rivière en quittant les collines se fait sur le fond d’une Marne ancienne, immense, une sorte de Niger ou de Zambèze, dans les faux bras duquel on a retrouvé un éléphant encore debout. L’histoire des hommes, en France, est pâle à côté des vicissitudes, des révolutions, des submersions qui ont marqué l’histoire du terrain, et qui sont encore écrites sur le sol.

Il n’y a rien de pareil en Uruguay[1]. Le pays est un bloc de roches cristallines fort anciennes, émergées depuis très longtemps. Dans le Nord de la République seulement, ce socle a été recouvert par des transgressions marines, qui sont elles-mêmes au plus tard contemporaines du trias, c’est-à-dire d’une époque très reculée. Depuis ce temps, l’histoire géologique du pays est terminée. La conséquence, c’est que, sur ces terrains on place depuis si longtemps, l’intempérisme, agissant depuis des dizaines de millions d’années, a profondément altéré la surface. Le relief actuel n’est qu’une sculpture du bloc primitif par la pluie, le soleil et le vent. Sous ce lent travail, les parties les plus tendres étaient balayées, tandis que les éléments durs restaient en saillie. Une chaîne de montagnes que l’on croit voir à Punta Ballenas n’est qu’un éperon de quartzite, roche très dure, déchaussé par l’érosion. Enfin, toute la région a pria l’aspect des très vieux pays, celui que les géologues désignent sous le nom de pénéplaine, suite infinie de faibles ondulations.

Imaginez un éternel moutonnement du sol. Tandis que, de l’autre côté du Rio, la pampa argentine étend sa surface plate, ici le granit est partout bosselé. Le manteau vert de l’herbe recouvre ce bossellement. Sur cette herbe claire sont piqués, plus clairs encore, des bouquets d’un chardon bleuâtre, qui a l’aspect d’un plant d’artichauts et qui est le signe des terres fertiles. Dans chaque creux l’eau s’accumule. Elle s’assemble en ruisseaux, et souvent les saules pleureurs tendent an bord de ce ruisseau leurs draperies pâles et flottantes. Le saule est un des rares arbres indigènes. Avec lui, il faut citer l’ombù, que Jules Verne se représentait comme un arbre géant, et où il croyait

  1. Il n’y a pas de carte topographique de l’Uruguay. Les deux cartes que l’on peut citer sont le 1 000 000e de Jannasch et le 700 000e de Araujo. Il n’existe, en dehors de ces cartes, que des levers isolés. Le premier travail d’ensemble sur la géologie du pays a paru en décembre 1918. Il est dû au docteur Karl Walther, professeur à l’Institut d’agronomie de Montevideo.