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temps nouveaux. Farouche, et refusant tout autre soin, il se fait mener sous l’ombù, l’arbre traditionnel du campo, s’étend entre ses racines comme entre des bras, et, chassant tout le monde, exige d’être seul pour mourir. Cette fin de troisième acte est vraiment très belle. Un quatrième acte, qui accommode les choses, n’ajoute pas au mérite de la pièce.

Il y a dans l’œuvre de Florencio Sanchez trois périodes : la première est faite de cette peinture de la campagne et des gauchos ; la seconde est faite de la peinture de la ville, quartiers populeux ou hommes dévoyés. Il y a dans cette série une pièce extraordinairement forte, Los Muertos, où un homme abject, abandonné par sa femme, affreusement bafoué par l’amant de cette femme, dont il est le jouet bouffon et sinistre, retrouve tout à coup dans l’ivresse une lueur de courage, et tue. Enfin, dans la troisième période, Sanchez, qui a été jusque-là surtout un peintre, en vient aux problèmes sociaux. La pièce capitale de cette dernière période, Los derechos de la Salud, est l’histoire tragique de la jeune femme tuberculeuse, qui se sépare de ses enfants, qui ne gouverne plus sa maison, qui n’est plus la compagne de son mari, et qui, vivante, voit sa place prise insensiblement par sa propre sœur. C’est la loi de fer, qui veut que chacun ne demande à la vie que ce qu’il est en état de recevoir d’elle. En vain la pauvre Luisa, qui n’est plus femme, veut empêcher la réunion des deux êtres jeunes et sains. Seul, l’artifice de l’auteur, qui achève sa pièce par une scène assez étrange (Luisa surprend son mari et sa sœur endormis, mais innocents, s’évanouit, se réveille et s’endort elle-même, ou meurt, on ne sait), empêche le drame d’aller à son horrible dénouement. Et l’ouvrage semblerait féroce, si on ne savait que Sanchez, qui l’écrivit en 1917, devait lui-même mourir peu après de la même maladie, et qu’il se condamnait en même temps que son héroïne.

Les sujets que nous avons vus dans le théâtre de Sanchez sont ceux de tout le théâtre uruguayen. Tantôt il nous montre les images de la vieille société gaucho. C’est ainsi que, dans sa pièce du Lion aveugle, Herrera a peint les rudes soldats des guerres civiles. Tandis que l’aïeul, qui a perdu la vue, vit au milieu de ses souvenirs ! le père, appelé à une nouvelle guerre, est tué, et l’enfant, qui demande comme un plaisir de tuer lui-même le petit agneau qu’on lui a donné, est déjà féroce comme