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pour y parer. En en confrontant plusieurs, réelles ou figurées, et, à mesure qu’on s’avance dans les salles, et qu’elles semblent diminuer, se simplifier, les écailles en tomber une à une, puis disparaître, on devine que ces périls ont cessé, ou que l’homme a trouvé quelqu’autre moyen d’y échapper, ou que cette protection est devenue inefficace... Mais lorsqu’il en reparaît subitement quelque partie, longtemps après que les conditions premières de la vie ont changé, quelle peut en être la cause ? Un retour de l’ancien péril conjuré ? Un affaiblissement de l’organisme ? Ou un de ces phénomènes bizarres de l’hérédité qui ramène au jour un caractère acquis autrefois dont la raison d’être avait cessé ? On songe alors que les naturalistes ont dû renoncer à tout expliquer des formes et des couleurs, et des parures de la plante, de l’insecte et de l’oiseau par la seule notion de l’utilité. Il doit y avoir autre chose... des reviviscences de besoins anciens rappelant à l’activité des énergies fossilisées, ou peut-être des aspirations nouvelles se servant, à défaut d’autres, d’organes anciens, dont le rôle change et s’adapte si bien aux exigences récentes, qu’on finit par oublier leur usage primitif et ne les reconnaître plus...

Sans doute quelques morceaux de « plates, » ciselés et gravés, et les images peintes d’une rétrospective ne suffisent pas à résoudre ces problèmes, mais elles les posent avec beaucoup plus d’évidence et de clarté que les textes écrits. Il n’y a pas un visiteur de cette exposition, en entrant dans la Rotonde, où sont rassemblés les maréchaux de Louis XV poudrés et pomponnés, qui ne s’étonne de les trouver revêtus de lourdes cuirasses et ne se demande à quoi elles pouvaient leur servir. C’est la surprise du naturaliste en face d’organes d’abord utiles à l’animal, comme les pédoncules de certains crustacés, mais qui se sont tellement développés qu’ils deviennent un embarras et une charge. En regardant avec plus d’attention, ce visiteur s’apercevrait qu’une foule d’autres formes du costume et de la coiffure, et des engins de ces personnages, ne s’expliquent pas mieux, logiquement, que leurs cuirasses, mais qu’ils sont comme elles des survivances de formes imposées jadis par la nécessité. Et dans les salles de toutes les époques, jusqu’à celle du « Poilu, » consacrée aux maréchaux de la dernière promotion, il retrouvera quelque chose des armures que portaient, au XVIe siècle, les Biron, les Brissac ou les Montmorency.