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pression pression d’avoir, quelques minutes, conversé avec un fantôme…

Au retour, dans le parc, l’on passe près d’une fontaine de Jouvence, célèbre depuis plus de mille ans : c’est l’eau que boit chaque jour le Prince Ri…


22 février.

Il y a trente-cinq ans, lorsqu’il rentrait d’Indo-Chine pour un congé en France, le Maréchal avait fait déjà le tour du monde : il n’était que simple capitaine et n’utilisait pas encore les grandes lignes de paquebots : plus modestement, — et plus économiquement, — il avait recours aux lignes de cabotage.

Ainsi, un jour, il visita Tchémulpo. C’était alors un tout petit port resserré entre une colline parallèle à la mer et de longs bancs de sable ; le commerce ne portait que sur un peu de riz et de poisson, et le village comptait à peine une cinquantaine de huttes de pêcheurs.

Or, Séoul est proche de Tchémulpo, et le Maréchal a tenté d’y retrouver ses souvenirs ; il y est allé ce matin, malgré la pluie, et l’a parcouru en automobile. Mais il n’a rien reconnu : c’est maintenant un grand port moderne, tout entier conquis sur la mer, magnifiquement outillé, avec des bassins de radoub, de larges quais, des écluses, des magasins ; il est devenu le second port de Corée ; en 1920, il exportait déjà pour 24 millions de yens et en importait pour 51 millions ; la ville elle-même a gravi la colline ; elle compte maintenant près de 50 000 habitants.

C’est avec un légitime orgueil que les Japonais font au Maréchal les honneurs de leur ville et du port ; et avec un étrange sourire, d’une hauteur, ils lui montrent, à l’horizon, la passe où, le 22 février 1904, il y a aujourd’hui juste dix-huit ans, le capitaine Roudnief qui commandait le Varyag, et le capitaine Biélaïef qui commandait le Koréïets, coulèrent leurs bâtiments devant toute l’escadre japonaise de l’amiral Uriu composée de quatorze navires.

Le soir, dîner offert par les colonies étrangères, suivi de danses : il y a ensemble des geishas japonaises et des keesangs coréennes ; celles-ci jolies selon le concept européen : grandes, fines, bien faites, le front pur, la taille courte, de longues jupes sombres jusqu’à terre, des corsages simples de taffetas blanc ou rose, elles ont toujours l’aimable apparence d’être nos jeunes grand’mères ressuscitées ; mais écrasées par le luxe des geishas,