Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son corps ramené à Paris fut placé le 18 juillet à côté de ceux des siens au cimetière Montparnasse.


Gabriel Lippmann était né le 16 août 1845 à Hollerich dans le Grand-Duché de Luxembourg. Comme celui de Pasteur, son père était tanneur. Celui-ci était originaire d’Enneryen Lorraine et avait épousé uneAlsacienne.il en eut trois enfants, un garçon et deux filles. De celles-ci l’une se maria, et eut un fils, physicien distingué, aujourd’hui professeur à l’Université de Nancy ; l’autre, Una Lippmann, ne quitta pas ses parents et vécut toujours dans une intimité étroite avec son frère ; ce fut seulement après l’avoir perdue que celui-ci se maria.

Comme beaucoup de grands hommes, Gabriel Lippmann subit profondément l’empreinte de sa mère. Enceinte de son premier enfant, elle avait ardemment désiré qu’il fût un fils et devînt un savant. Le tenant par la main, tout petit, âgé de quatre ans, et passant sur le pont des Arts, elle lui montrait du doigt l’Institut en lui disant : « Mon enfant, un jour tu entreras là » C’était une femme d’une rare intelligence, et douée de dons musicaux exceptionnels. Elle avait un talent de composition qu’admiraient ses proches, mais ne voulut jamais rien publier. Parfois seulement, quand on lui demandait l’auteur du morceau qu’elle venait de jouer, elle répondait par un nom de fantaisie qu’elle avait imaginé. On n’insistait pas pour ménager sa modestie. Son fils Gabriel hérita de ce sens musical. Longtemps ses préférences allèrent à Haydn et à Mozart ; dans ses dernières années, Beethoven le touchait jusqu’aux larmes. Il admirait Wagner, mais sans véritablement l’aimer : il ne le sentait pas assez près de son cœur. Aucun plaisir ne valut jamais pour lui un beau concert de musique classique. Président de l’Académie des Sciences, il prononça l’éloge d’Henri Poincaré et rappela la page curieuse où celui-ci a dit que les savants trouvent dans les mathématiques pures des harmonies et des jouissances analogues à celles des arts, bien que les sens n’y prennent aucune part. « Il est vrai, accordait Lippmann, et je ne crains pas de dire que ce plaisir esthétique a une signification bien directe. C’est l’ordre, donné par la nature, de continuer. Car c’est ainsi que la nature nous donne ses ordres, non par une voix extérieure qui arrive aux oreilles, mais par un commandement intérieur qui se