l’attend. Elle se répète. Elle s’apaise en un gémissement anxieux. Elle finit en un grognement de monstre blessé... La faim du lion a rugi là-bas, quelque part, où un promontoire invisible se profile derrière des herbes et des eaux : tout s’est lu. On croirait que la vie arrête les battements de ses cœurs innombrables. Elle se terre. Elle se blottit. Les crocodiles cessent de remuer sournoisement dans la vase proche. Seul un petit oiselet se réveille. Il pépie. Plus près, la faim du lion tonne. Ses mâchoires évidemment souffrent de ne pas saisir, de ne pas broyer. Ses entrailles souffrent de ne pas engloutir, de ne pas absorber. Une torture sans nom est proclamée, immense comme la peine de l’animalité tout entière et de ses élites humaines. Le touriste lui-même, à l’abri sur le pont du yacht, et qui encastre le chargeur à trois balles dans son mousqueton, — le touriste lui-même retient son haleine trop bruyante, révélatrice de son émoi religieux, et il s’étonne qu’il n’y ait pas un signe dans le ciel pour compatir à cette formidable plainte, symbole évident de la force planétaire en souffrance... »
Je ne crois pas que Paul Adam, dans aucun de ses livres, ait jamais écrit une plus belle page.
Il était un esprit trop réfléchi pour s’en tenir à des impressions superficielles, d’un caractère surtout esthétique. L’auteur du Mystère des foules a voulu voir clair dans les foules noires de notre Afrique occidentale. Il a essayé, d’après les géographes et les ethnographes, surtout d’après les écrits de Maurice Delafosse, il a essayé de distinguer dans cette masse confuse, les races, les nationalités très diverses dont elle se compose. Maures, Touaregs, Targhis, Ouolofs, Peuhls, il s’est efforcé de caractériser chacune de ces branches ethniques, montrant l’imprudence administrative qu’il y aurait à les confondre. Mais il est allé encore plus loin. Ce métaphysicien a toujours été épris d’histoire. Les problèmes d’origine sont ceux qui le passionnent le plus. Il aime établir des relations de causalité ou d’analogie, il se lance volontiers dans des synthèses quelquefois un peu aventureuses, il triomphe à reconnaître des filiations, des parentés, entre des ordres de choses apparemment fort distinctes, il use et il abuse du principe hégélien qui proclame l’identité finale des contraires. Et, d’autre part, le romancier épique qui a écrit L’Enfant