par cent trente mille hommes, et à la tête de ses vingt-deux escadrons, mène la dernière attaque, brise l’armée du prince d’Orange et récolte quinze étendards, renouvelant ainsi avec Luxembourg ce qu’il passe pour avoir fait avec Turenne. Le « Boiteux » arrivant au secours du « Bossu » et, à eux deux, battant le « squelette asthmatique » selon le mot de Macaulay, — à le dire, quelle caricature ! Mais, à le voir, quelle splendeur ! Et c’est la peinture avec son beau mensonge, qui dit vrai, parce que, comme la victoire, elle transfigure. C’est lui, enfin, qui se trouve être ambassadeur à Madrid, lorsque les Pyrénées s’écroulent, et il introduit Philippe V de plain-pied dans ses États. Et tout cela, comme dans son portrait, semble se faire tout seul, naître de soi-même, à un signe de la magique baguette qu’est son bâton. « Jamais incommodé par l’inquiétude, ni à la guerre, ni dans le cabinet, jamais impatient, jamais important, jamais affairé, toujours occupé et toujours ne paraissant rien faire, » dit Saint-Simon. Avec cela, un geste large. Pendant que les autres diplomates se confinent dans des intrigues de cour, il fait de la politique de plein air : il nourrit des multitudes affamées et lorsqu’il sort par les rues de Madrid, le peuple crie : viva et Cojo ! Vive le Boiteux !
Enfin, il a la chance d’être là quand un grand artiste tient le pinceau. C’est une chance surtout pour nous. « Il était gros, point grand et d’une laideur particulière et qui surprenait, dit Saint-Simon, mais avec des yeux si vifs et un regard si perçant, si haut et pourtant doux, et toute une physionomie qui pétillait tellement d’esprit et de grâce qu’à peine le trouvait-on laid. » Nous le trouvons même beau dans le portrait de Rigaud et, en tout cas, bien typique, rassemblant en lui tous les traits épars chez les seigneurs de celle Rotondo, en les magnifiant. Son fils, le maréchal François Harcourt, devait être presque aussi heureux avec son portraitiste. C’est un fort beau morceau de sculpture que son buste par Michel Slodtz, adroit scrutateur de physionomies humaines, lorsque les Menus Plaisirs voulaient bien lui en donner licence, au lieu de l’employer à quelque feu d’artifice ou à quelque catafalque, artiste tout à fait digne de mémoire, sinon du surnom dont l’écrasaient ses camarades : Michel Ange.
Il y a pourtant ici, çà et là quelques graves figures. Des masques soucieux émergent de leurs cravates compliquées ou se