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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/518

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bien là pour sentir avec vous ; et je vous supplierais bien de me rejoindre. Je me reprocherais bien amèrement de ne vous avoir pas emmenée, si je n’avais peur pour vous de la fièvre : quelques personnes l’ont. Je n’en ai pas éprouvé la plus légère atteinte.

Je continue à me sentir plus charmé de l’art que de la nature : on est plus chez soi, plus entre amis, même avec des géants comme Michel-Ange et Raphaël, qu’en présence de Dieu, ce monarque écrasant, quoique si paternel.

Je vous conterai une merveilleuse promenade à cheval dans des gorges fort mal famées, où les Anglais ont seuls osé se risquer cette année, et quarante à la fois ; mais où je n’ai trouvé que de paisibles chevriers. Ecrivez-moi bien vite. Vos lettres sont, je pense, à Naples ; je souffre de n’en pas avoir.


Syracuse, dimanche 19 avril 1874.

Chère maman,

Nous sommes en Sicile depuis cinq jours, et je n’ose essayer de vous raconter nos courses : nous allons de merveille en merveille. Remerciez bien M. de Mirepoix de m’avoir conseillé de venir ici : les Romains étaient bien grossiers d’appeler la Sicile leur grenier ; ils auraient dû l’appeler leur musée, leur théâtre, leur paradis. Jeudi matin, après une nuit de pluie battante, nous nous réveillions sous un ciel radieux, au milieu des îles Lipari ; à une demi-lieue de notre navire, le Stromboli fumait majestueusement, élevant au-dessus de la mer sa masse ronde et ses pentes abruptes et sans rivage, auxquelles est suspendu, on ne sait comment, un joli petit village ; plus loin les autres îles se déployaient en amphithéâtre, tout illuminées de soleil, variées et gracieuses de formes, et prenant dans le lointain, avec des nuances plus délicates, la teinte bleue de la mer. Mais ce n’était là qu’une sorte d’avant-garde : tout l’horizon était fermé par une haute barrière de montagnes, celles de la Calabre et celles de la Sicile, entre lesquelles on ne pouvait deviner aucune séparation. Enfin au-dessus de ce premier rempart s’élevait, comme donjon, l’immense Etna, couvert de neige, coloré de rose, surmonté de son panache de fumées. Voilà où nous voguions, respirant l’air le plus pur et le plus enivrant, la poitrine gonflée, les yeux éblouis, le cœur plein, je vous assure, de pieuse reconnaissance.

Le détroit de Messine se glisse entre deux langues de terre