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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/571

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flatteur pour son amour-propre, qu’il existât, dans le monde des purs esprits, une métaphysique, sœur de sa doctrine, et que toutes les nuances de la pensée, depuis la méditation la plus grave jusqu’à l’ironie la plus légère, y fussent identiques à sa propre manière. Quelle consécration de son génie marquée par là du sceau divin !

Le temps des tables est celui où il se fait photographier dans des poses extatiques et écrit gravement au-dessous des épreuves : Victor Hugo écoutant Dieu, épigraphe dont il est aisé de se moquer. Mais ces mots ne sont pas seulement ceux d’une incommensurable infatuation dont Victor Hugo en un autre temps eût perçu lui-même le ridicule ; ces mots ont été écrits dans une sorte de stupeur devant le mystère de l’Election dont il se croyait l’objet ; ils sont, toute proportion gardée, à l’humilité de l’apôtre et à la grandeur de la religion près, analogues à l’inscription : Feu, Certitude, Joie, du scapulaire de Pascal ; Victor Hugo croit les tables de Jersey privilégiées : il se sent choisi par Dieu : il en a, certes, l’orgueil, mais en même temps, il trouve en lui-même de l’effroi. Il est naïvement dans l’état d’âme d’un homme du peuple qui croit aux somnambules et à qui l’une d’elles vient de prédire qu’il serait roi : l’homme du peuple sort du galetas de la devineresse plein de vanité, mais non sans une terreur redoublée à l’égard de la science prophétique et des jeux du Destin.


Il est temps de nous expliquer sur le phénomène des tables parlantes de Marine-Terrace et, dans ce carrefour où se croisent tant de souffles divers, de faire sa part à l’inspiration de chacun des hôtes de Victor Hugo. Victor Hugo a la part du lion.

Au risque de scandaliser les spirites, nous dirons tout de suite que nous ne partageons pas la croyance de Victor Hugo, que nous n’avons pas foi à la venue des esprits dans les tables et que nous n’éluciderons pas la question à l’aide du catéchisme d’Allan Kardec.

Nous ne nions nullement la réalité des singuliers phénomènes qui se sont manifestés à Jersey ; au milieu de gens qui étaient tous sincères et convaincus, toute idée de supercherie doit être écartée. Les expériences de Jersey constituent à l’histoire des sciences psychiques un apport des plus curieux et des plus probants.