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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/806

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pour un épicier de Florence. On ne trouve à point nommé d’auberges pittoresques que dans les romans, avec des flacons, des rôtis appétissants et des pâtés. Celle-ci est sale. Il faudra manger sur une nappe que déshonorent des taches vineuses. J’aurai des pâtes et un morceau de bouilli : du dessert, ou seulement des fruits, ou seulement du fromage, il n’y en a plus, tant pis pour moi. Résignons-nous, et mangeons en compagnie d’un chat gris très gourmand.

Mais de l’autre côté de la porte vitrée, des voix s’élèvent. Il y a là des dineurs qui sans doute ont fait meilleure chère. Quatre ou cinq personnes, me semble-t-il, qui se taisent bientôt pour écouter un orateur à la voix sonore, à la phrase ample, au vocabulaire imagé et précis. Je l’écoute aussi, sans le voir. Et alors, dans ce pays perdu, dans cette auberge sale, j’entends les plus beaux lieux communs du monde, tels que les humanistes ne les auraient pas désavoués, à l’époque où ils apprenaient à l’école des Latins la valeur du verbe et le sens de l’idée. Que nous arriverons tôt ou tard à la mort, riches ou pauvres, et qu’ainsi, il importe de bien employer la vie. Que nous ne sommes pas plus vicieux que les Anciens, quoi qu’on en dise ; pour preuve, on n’a qu’à regarder les peintures de Pompéi : ne montrent- elles pas que l’immoralité était constante alors ? Que l’humanité est certainement en progrès, puisque nos arrière-grands-pères ne connaissaient ni les chemins de fer, ni le télégraphe, ni le téléphone, ni l’aviation, cette merveille...

Qui parle ainsi ? Quelque avocat en vacances ? Un professeur qui a pris sa retraite dans son pays natal ? L’instituteur du lieu ? Un simple ouvrier peut-être. N’importe qui, puisque je suis en Toscane, et qu’un enfant d’ici par le mieux qu’un maître de chez nous.


Le 14 septembre et les jours suivants.
A Florence, pour les fêtes de Dante.

Florence s’est remplie de gens venus des villes et des campagnes voisines, venus de tous les points de l’Italie, pour célébrer les fêtes du sixième centenaire de la mort de Dante. Les hôtels sont pleins, pleines les rues ; on circule avec peine à travers la foule. La physionomie de la ville, d’ordinaire si discrète et si fine, en est totalement changée ; ce musée est devenue cohue. Tant mieux. Il y a quelque chose de touchant