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DIX-SEPT JOURS EN AMÉRIQUE


I. — NEW-YORK


Samedi 22 avril.

Nous entrons dans la baie d’Hudson aux premières lueurs du matin ; la physionomie du Paris a changé ; les passagers ont fait leur valise, s’occupent à distribuer des pourboires ; ils sont déjà parés pour descendre à terre ; on voit des visages qui ne s’étaient pas montrés pendant la traversée, à cause du mal de mer. Je suis monté sur le pont supérieur ; on m’a bien dit qu’il ne fallait pas manquer l’arrivée à New-York, que c’était un spectacle incomparable et l’on cite la phrase d’une femme illustre dont je ne me rappelle plus le nom : « J’ai eu deux sensations fortes et inoubliables dans ma vie : « l’audition de Tristan et Yseult et l’arrivée à New-York. » Mais, hélas ! l’arrivée à New-York comporte quelques formalités. La jeune civilisation américaine, comme notre vieille civilisation, connaît les douanes, les octrois et toutes les précautions européennes.

Déjà à notre arrivée à bord, nous avions dû répondre à d’étranges questions que, sur une grande feuille de papier, nous posait avec sollicitude le gouvernement des Etats-Unis : « Etes-vous bigame ? Anarchiste ? Avez-vous l’intention de combattre le gouvernement ? » Quand le bateau a franchi la passe des Narrows, quand il a passé devant la statue de la Liberté, j’étais enfermé dans le grand salon, attendant mon tour pour faire viser mon passeport. Quand j’en suis sorti, je croyais que j’allais enfin pouvoir jouir du spectacle incomparable, mais un petit homme carré et brun, et canadien, qui était monté à bord en même temps que le service de santé et des passeports m’abordait avec cordialité et, sur un ton affectueusement péremptoire, me priait nettement de le suivre sur le pont où m’attendaient des photographes.