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respira à fond, de façon à pouvoir descendre très loin. Puis il plongea la tête la première, nageant de toutes ses forces et de toute sa volonté, de plus en plus profondément. Ses yeux étaient ouverts et il voyait les bonites rapides zébrer l’eau de flèches phosphorescentes. Il espéra qu’elles ne l’attaqueraient pas, car la tension de sa volonté eût pu se relâcher. Mais elles ne s’occupèrent point de lui et il remercia la vie de cette dernière faveur.

Il nagea encore, plus bas, plus bas. Ses bras et ses jambes, rompus de fatigue, ne remuaient plus que faiblement. Il était sûrement à une grande profondeur. La pression de l’eau était douloureuse à ses tympans. Son endurance était à bout, mais il se força à plonger encore, jusqu’au moment où sa volonté l’abandonna, où l’air s’échappa de sa poitrine avec violence. Comme de minuscules ballonnets, de petites bulles, — ses dernières réserves de vie, — glissèrent en rebondissant sur ses joues et ses yeux, dans leur ascension éperdue vers la surface. Puis vinrent la souffrance et l’étouffement. Ce n’était pas la mort encore, il se le dit en oscillant au bord de l’inconscience. C’était encore la vie, cette atroce sensation.

Ses mains et ses pieds, dans un dernier sursaut d’énergie, se mirent à battre, à griffer l’eau, faiblement, spasmodiquement. Mais ils avaient beau faire, ils ne pourraient jamais plus le faire remonter : il était trop bas maintenant, trop loin. Il flottait languissamment, bercé par un flot de visions très douces. Des couleurs exquises, une radieuse lumière l’enveloppaient, le baignaient, le pénétraient. Qu’était-ce ? un phare peut-être ; mais non, cette éblouissante lumière blanche était dans son cerveau. Elle brilla, de plus en plus vive. Il y eut un long grondement. Il glissa sur une pente interminable. Et quelque part, tout au fond, il sombra dans la nuit.


La mutinerie de l’Elsinore (The mutiny of the Elsinore), qui date de 1914, est un roman que London a refait plusieurs fois, avec diverses intrigues, et c’est ce roman-type des longues traversées dramatiques et malchanceuses. Si l’amour du risque a conduit Pathurst sur l’Elsinore, gros cargo de fer qui transporte du charbon d’une côte à l’autre de l’Amérique du Nord, — de Baltimore à Seattle, — en passant par le détroit de Magellan, ce passager amateur est servi à souhait, et son dégoût de la vie s’en trouvera dissipé. L’équipage réuni dans le gaillard d’avant du sinistre bateau est une tourbe humaine d’alcooliques, de dégénérés, de repris de justice, commandés par un capitaine et un second qui se haïssent. Leur antagonisme finit par diviser en deux groupes hostiles les marins. Le voyage est long et dur. Les