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des bars de Frisco. Mais, à bord, où se trouvait un Papou, le steward a contracté la lèpre, et tandis qu’il s’en va vers une maladrerie lointaine, le pauvre Michaël est vendu au directeur de l’un de ces grands élevages d’animaux dressés, où, malgré toutes les apparences de l’hygiène, ils sont soumis à de révoltantes tortures. London parle de ces établissements américains avec autant d’indignation, ou presque, que des slums anglais.

Le livre qui passe pour être son chef-d’œuvre, l’Appel de la Forêt (Call of the Wild), est également, on le sait, une histoire de chien. Mais, là une ample poésie, celle de la vie sauvage, de l’aventure de l’or, du mystère des origines ancestrales, transfigure le petit drame. En fait, ce livre est unique dans la littérature des Etats-Unis. Il est à part, il y répand comme un parfum, une odeur âpre et fraîche. Le grand chien Buck, colosse croisé de Terre-Neuve et de colley écossais, semble, dans la vie civilisée qu’il mène chez ses maîtres citadins, n’avoir plus rien conservé de l’héritage de ses lointains aïeux les loups. Mais, au moment de la grande poussée vers le Klondyke, alors que les chiens capables de tirer les traîneaux sont achetés à prix d’or, Buck est volé et vendu à des pionniers. C’est là dans la forêt, qu’un étrange appel le sollicite, auquel il cède peu à peu, quittant le camp d’abord pour une nuit, retrouvant les loups, revenant au camp, et finalement s’abandonnant à l’attrait invincible et fuyant pour toujours.


Le murmure des eaux délivrées chante dans la forêt. Le printemps va passer sur le Nord. Parfois Buck prend sa course au hasard, sollicité par un appel mystérieux, mais pressant et formel. Cependant, là où finissent les vestiges de la vie connue, à l’entrée de la contrée vierge, Buck est retenu par un autre sentiment, l’amour pour son maître, et il rentre parmi les humains.


L’été passe, hommes et chiens traversent les lacs bleus des montagnes, subissent les terribles orages arctiques, et hivernent dans une vallée désolée, où l’or abonde. Les chiens, pendant plusieurs mois d’hiver et de printemps, n’ont plus rien à faire, et c’est alors que Buck entend « l’appel du monde sauvage. »


Mû par un pouvoir plus fort que sa volonté, il hume avec ivresse la senteur de la mousse fraîche et des longues herbes qui couvrent le sol noir des forêts. Il demeure des journées entières derrière un