Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doux. Tel était l’usage de la Cour Catholique pour les domestiques malades.

Tout cela plaisait fort à la Quentin qui était gourmande. Mais surtout elle avait entrevu, dès son arrivée, tout le profit qu’elle pouvait tirer de la faveur de la Reine. Des gens de toute qualité étaient déjà venus lui demander son appui auprès de la souveraine, — naturellement contre belles espèces sonnantes. Des gentilshommes, qui briguaient des hautes fonctions dans le Gouvernement des Indes, n’avaient point dédaigné de recourir à ses bons offices. Quel que fût son mépris de l’Espagne et des Espagnols, malgré l’hostilité plus ou moins ouverte dont elle se sentait entourée, elle pensait que la place était bonne et qu’il valait la peine de se résigner à quelques avanies, pour se maintenir à la source de tous les bénéfices.

C’est pourquoi, tout en disant à sa maîtresse pis que pendre de la Reine, sa belle-mère, elle essayait de l’apprivoiser avec son nouveau genre de vie et avec la coutume espagnole. D’ailleurs, la Camarera, depuis leur accommodement, s’était beaucoup relâchée de sa sévérité, tant à l’égard des femmes françaises qu’à l’égard de la Reine elle-même. Maintenant, celle-ci pouvait causer librement avec ses femmes, et, — chose inouïe, — elle avait la permission de regarder, quelquefois, par la fenêtre.

La nouvelle d’un tel événement se répandit à travers Madrid avec une extrême rapidité. Sitôt qu’elle fut sur, les Français, qui étaient fort nombreux dans la capitale, — pour la plupart, il est vrai, gens de peine et de petits métiers, — tout ce petit monde, comme sur un mot d’ordre, prit l’habitude de se réunir, matin et soir, autour de la fontaine du Prado, pour acclamer une fille de France devenue reine d’Espagne. Il leur était difficile de s’approcher du palais, défendu par tout un système de clôtures et environné d’une foule de bâtisses. Ils ne voyaient que de très loin la fenêtre de la Reine. Mais cela leur suffisait. Dès qu’une figure de femme apparaissait derrière la vitre, ils ne se demandaient point si c’était la souveraine en personne, ou une de ses dames d’honneur, ou tout simplement une femme de chambre : aussitôt, guitares et accordéons faisaient rage. Les chansons s’élevaient, saluant la fugitive apparition. Comme des cavaliers servants sous le balcon de leur dame, ces gueux, pour réjouir le cœur de la petite princesse exilée, lui jouaient ou lui chantaient des airs de son pays…