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d’esprits dans l’Université de Louvain ; et ce serait perdre de vue les dix-huit ans de labeur durant lesquels se prépara l’Augustinus, manifeste massif du jansénisme théologique. Mais ce jansénisme flamand, dont à Louvain, avant la guerre, on avait très opportunément entrepris l’étude, c’était surtout une spéculation théologique. Les polémiques, en France, allaient tout de suite prendre une autre forme ; elles allaient porter principalement, comme le dit M. Albert de Meyer, « sur la conception fondamentale de la vie religieuse ; » et si nos jansénistes se montraient soucieux de familiariser les fidèles avec le mystère de la grâce, c’était « en vue de relever la pratique religieuse et de fortifier l’adhésion à Dieu ; » la doctrine devait être « ordonnée vers l’action ; » le jansénisme flamand était une doctrine métaphysique, et le jansénisme français affectait volontiers l’aspect d’une doctrine morale.


IV

Ainsi se retouche, et sans cesse s’enrichit, l’histoire de ce mouvement religieux ; et plus on l’étudie, plus elle rend mélancolique. Ces hommes et ces femmes, qui croient semer les germes d’un « réveil, » et qui veulent les semer, travaillent, sans le savoir, pour le siècle d’insoumission et de négation qui bientôt succédera. Il semble que les évolutions mêmes de leur influence et de leur œuvre soient comme une ironique confirmation de leur doctrine fataliste, confirmation douloureuse et qu’assurément ils ne souhaitaient pas. Les moissons imprévues qui surviennent après certaines semailles sont pour les pauvres agents humains des raisons nouvelles de s’humilier, lorsqu’ils demeurent encore capables d’humilité. Dépassant le cadre où s’est enfermé M. Bremond, qu’il nous soit permis de regarder un moment ces lointaines surprises de la destinée : c’est le propre des grandes œuvres historiques, de solliciter à la méditation.

On raconte que le 6 mai 1638, une demi-heure avant sa mort, Jansénius, évêque d’Ypres, fit venir son chapelain Reginald Lamée, et qu’il lui remit le formidable manuscrit intitulé Augustinus, avec ordre de le faire paraître « le plus fidèlement possible. » Mais on ajoute que, complétant sa pensée, ou peut-être la corrigeant, il dictait au chapelain la note que voici : « Je sens qu’il est difficile de pouvoir apporter à ce livre quelque changement.