Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle d’un défenseur des droits spirituels du Saint-Siège.

Voilà le point de départ, voilà le prologue. Laissez maintenant se dérouler, au cours des années, les discussions successives soulevées par le grand Arnauld, et puis par le P. Quesnel, sur l’authenticité des cinq propositions de Jansénius concernant la grâce et le salut [1], et sur le sens dans lequel lui-même les prenait, et sur l’infaillibilité des jugements portés à cet égard par le Saint-Siège, et sur le degré d’adhésion que les fidèles doivent à ces jugements ; et puis regardez, à l’issue de ces débats, l’horizon théologique. Sous le nom de jansénisme, des théories désormais s’y étalent, qui sapent les bases mêmes de la chaire de Pierre. Le procès entamé par le Siège romain contre certaines doctrines de Jansénius a tellement agité l’opinion publique, que c’est devant elle qu’il parait pendant, et que c’est elle qui s’érige en juge ; et la voilà saisie, par les jansénistes, d’une sorte de demande reconventionnelle, tendant à traduire à son tribunal, sous le grief d’usurpation de pouvoir ou de forfaiture doctrinale, le magistère romain lui-même.

Et de ces bagarres juridiques et canoniques, où l’incompétence théologique de toute la société cultivée s’attribue le rôle d’arbitre, résultent, non seulement chez les libertins ou chez les philosophes, mais même chez beaucoup de fidèles, et non seulement en France, mais à Vienne, à Trêves et à Pistole, des habitudes de désinvolture à l’endroit de ce que pense Rome et de ce que veut Home, et une sorte de parti pris de laisser tomber dans le désert la voix qui, durant des siècles, avait été l’institutrice de l’Europe. Tel est, au bout de quelques générations, l’épilogue de l’affaire Jansénius. Les gradins supérieurs des bibliothèques, où vont sommeiller les livres qu’on ne lit plus, ont hospitalisé peu à peu cet imposant Augustinus qui n’avait voulu venir au monde qu’en se soumettant à Rome ; mais le nom même de Jansénius est devenu le point de ralliement pour un esprit permanent d’insoumission, qui vise l’Eglise en son centre, et qui prodigue les coups de sape.


V

Quelque déconcertante que nous apparaisse cette destinée de Jansénius, il y a je ne sais quoi d’encore plus imprévu, et

  1. Voir à ce sujet Yves de la Brière le Jansénisme de Jansénius, étude critique sur les cinq propositions (Recherches de science religieuse, 1916, p, 270-301).