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C’est une impression assez insignifiante. Attendez ! Voici la version de 1833, « revue et augmentée : »


Le bavardage des Français se tut. J’entendis près de moi quelqu’un s’écrier à plusieurs reprises : Délicieux ! Je me tournai vers la voix ; c’était celle d’un bel homme : sa tournure était noble, son visage spirituel ; il n’était plus jeune, et il était décoré de rubans et de plaques. Il se mil à causer avec moi et s’assit à mes côtés. Comme je suis habituée à être prise pour un enfant, je ne m’étonnai pas quand l’inconnu m’appela ainsi. Il prit ma main et demanda qui m’avait donné cette bague. Je répondis que c’était Gœthe. Comment Gœthe ? Je le connais. Alors il me raconta qu’après la bataille d’Iéna il avait passé plusieurs jours chez toi, et que tu avais coupé un bouton de son uniforme pour le conserver dans ta collection de médailles. Je lui dis que toi, en me donnant celle bague, tu m’avais bien priée de ne pas l’oublier. — Et cela vous a remué le cœur ? — Aussi tendrement et aussi passionnément que les sons qui se font entendre là haut. — Et vous n’avez réellement que treize ans ? Tu dois savoir qui c’est : je ne lui ai pas demandé son nom.


Voilà du Bettine tout pur, du Bettine à dormir debout. Il fallait bien que Bettine eût vu Napoléon ! Quant à l’âge, en 1808, elle avait, ne lui en déplaise, vingt-trois ans bien sonnés. Hormis la bague, cette bague qu’elle venait justement de donner à son ami Puckler-Muskau il ne reste rien de ce tissu de fables : tout est pure mythomanie. On comprend que ce soit assez pour faire des Lettres à un enfant un livre des plus suspects et des plus déconsidérés, et que l’auteur ait mérité de passer pour une petite cousine du baron du Munchhausen et de M. de Crac.

Il n’est pas jusqu’à la scène fameuse de la première rencontre avec Gœthe, cette scène à la fois comique et solennelle, d’un goût si allemand, il n’est pas jusqu’à cet épisode célèbre et caractéristique qui, dans la réalité, ne paraisse s’être passé d’une manière toute différente. On se rappelle le tableau : l’apparition du maître, la petite interdite, les premières paroles de Gœthe : « Je vous ai fait peur, mon enfant ? » Puis Bettine sautant tout à coup sur les genoux du poète et y tombant endormie de fatigue et d’extase. Dans sa première lettre à Arnim, la jeune fille raconte les choses plus simplement :


J’ai beaucoup parlé de vous avec Gœthe : il vous aime et comprend très bien que je vous aime. Ce qui m’étonne, c’est de m’être sentie si à l’aise, toute seule avec lui, que je m’appuyai à son épaule et que je